Cet article reprend le texte de la vidéo que vous pouvez trouver sur Youtube et Peertube.

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Salut, et bienvenue dans cette vidéo où on va parler de déterminisme, et surtout, de ses implications sociales et politiques.

Alors, le déterminisme, c’est l’idée selon laquelle tout événement est la résultante d’une ou plusieurs causes antérieures à lui.

– “Oui, ce qui semble assez logique, il serait difficile d’imaginer qu’une chose se produise sans avoir de cause”.

C’est logique oui, et pourtant, le déterminisme a parfois du mal à se faire accepter par beaucoup de gens. Parce que si le monde physique est déterminé, il implique que nous-même, nous sommes également déterminé·es, nous sommes la résultante d’un enchaînement de cause à effet. Et donc, nos choix et nos comportements sont eux aussi déterminés par des événements passés. Le déterminisme remet alors en question la notion de libre arbitre.

– “Oui mais après on fait quand même nos propres choix, et dans nos vies on a quand même la liberté de choisir certaines choses”.

Alors y a une confusion qui est souvent faite quand on parle de libre arbitre. Si on dit qu’à certains moments on prend des décisions volontairement et consciemment, avec aucun sentiment de contrainte, alors oui c’est le cas, et le déterministe ne réfute pas du tout ça. En revanche, ce qu’il dit, c’est que ces décisions-là, sont elles-mêmes déterminées. Nous faisons des choix, certes, mais on peut se demander pourquoi nous faisons ces choix ? Et en réfléchissant ainsi, on retombera toujours sur des événements extérieurs à nous. Soit des facteurs biologiques, soit des facteurs sociaux, mais dans les deux cas, ils ont une origine antérieure à nous. Nous n’avons pas choisi notre naissance, ni notre génétique, ni l’environnement social dans lequel nous avons grandi.

– “Oui ok, on est nous aussi déterminés, mais quand on parle de la liberté, c’est pour parler de quand on agit par nos propres désirs, nos propres volontés ! Ah oui… tu vas nous dire que nos désirs et nos volontés sont eux-mêmes déterminés par des choses passées”

Eh oui, c’est important de distinguer le sentiment de liberté, qui est bien réel, et l’existence d’une liberté absolue qui serait indépendante de tout déterminisme, qui elle ne peut tout simplement pas exister.

Et c’est souvent que ce dernier, le libre arbitre indéterminé, est justifié par des arguments qui devraient justifier uniquement le sentiment de liberté.

Si vous n’êtes pas encore convaincu·e de tout ça, je vous renvoie vers la vidéo de Mr phi sur le sujet, qui explique ça plus en détail, mais ici on va passer à la suite.

Une précision tout de même, il faut bien distinguer le déterminisme du fatalisme :

Le fatalisme, c’est l’idée qu’il y aurait une destinée, un avenir écrit à l’avance auquel vous ne pouvez échapper et sur lequel vous ne pouvez pas influer, et ce, quels que soient vos comportements. Le déterminisme s’oppose à ça, il y a bien un futur qui est déterminé, mais il est déterminé par des processus physiques de causalité. Donc, contrairement à ce qui est suggéré par le fatalisme, votre futur n’est pas décidé à l’avance, quels que soient vos choix. Vos choix et vos comportements ont bel et bien un impact sur votre vie et sur le monde.

QU’EST-CE QUI NOUS DÉTERMINE ?

Comme on l’a mentionné au début, il y a divers facteurs qui vont nous déterminer tout au long de notre vie, et il serait vain de croire qu’on est en mesure de tous les appréhender. On a accumulé beaucoup trop d’événements dans notre existence pour qu’on soit en mesure de s’en souvenir et encore moins estimer à quel degré ces événements ont pu nous impacter. Je pense même que cette incapacité à appréhender la multitude de facteurs qui nous déterminent participe au fait qu’on ait tendance à croire au libre arbitre.

Par exemple on va dire :

– “Deux personnes ont eu la même vie et pourtant elles sont différentes, ça montre bien que tout n’est pas déterminé ”

Et ce parce qu’il existe un ensemble d’autres causes, d’événements, de rencontres et de petits détails différents d’une vie à l’autre, à l’image de la célèbre métaphore de l’effet papillon, qui dit qu’un petit événement peut avoir un impact et des conséquences indirectes importantes sur le long terme, et qu’il nous est alors impossible de tout prévoir et appréhender à l’avance.

À l’échelle individuelle, il peut être intéressant de questionner ce qui est à l’origine de nos comportements, de nos désirs, de notre personnalité, tout en sachant qu’on ne pourra pas tout décrypter. Mais c’est surtout à l’échelle de la société qu’on va pouvoir étudier ça de manière plus scientifique, en observant des tendances générales, et c’est sur le plan politique que ces questions vont être particulièrement intéressantes, parce qu’on va pouvoir agir en amont des problèmes.

Prenons un exemple, le terrorisme, Un certain homme politique avait dit une phrase que je trouve très problématique à ce sujet, il a dit « il ne faut pas chercher à comprendre, parce que ce serait excuser »

Et ce genre de raisonnement fait qu’on ne va jamais se pencher sur la source des problèmes.

Pourtant c’est quand même une bonne question, pourquoi il y a des gens qui commettent des actes terroristes ou même des crimes en général ? Est-ce que c’est un facteur biologique ? Bon si c’est le cas c’est pas évident de trouver des solutions. Mais peut-être que c’est plutôt des facteurs sociaux, est-ce que l’inclusion de ces gens dans la société à un effet ? La précarité peut-être ? La marginalisation ? Des évènements à certains moments de leur vie ? Ou encore d’autres choses ?

Et moi je n’ai pas de réponse sur ce sujet-là, c’est surtout un exemple pour dire que si on veut améliorer les choses, il est important de comprendre les différentes causes pour pouvoir faire les changements adéquats dans la société. Mais si le sujet en question vous intéresse, il y a un live de la tronche en biais très intéressant sur ce sujet.

– “Ok, c’est pertinent de chercher ce qui détermine nos comportements, et du coup comment on sait ce qui nous détermine ?”

Alors, comme je l’ai dit précédemment, on est déterminé·e soit par des facteurs biologiques, soit par des facteurs sociaux. Bon, sur l’aspect politique, si on a envie de faire évoluer la société, il n’est pas évident de changer des choses qui sont intrinsèques aux individus, donc des facteurs biologiques, alors on va surtout s’attarder sur les déterminants sociaux.

Et ça tombe bien, puisque comme nous le montrent de multiples études en psychologie et en sociologie, les facteurs sociaux semblent en grande partie déterminer nos comportements, là où on a un peu plus de marge de manœuvre.

Et on va d’ailleurs voir qu’en général, on a tendance à sous-estimer l’importance de l’influence sociale.

LE DÉTERMINISME SOCIAL

Alors il faut savoir qu’on est toutes et tous victimes d’un gros biais psychologique, le « biais fondamental d’attribution », on a tendance à attribuer les comportements des gens à des attributs personnels, et on prête moins attention aux facteurs sociaux. Donc si une personne agit mal, on va considérer qu’elle est une mauvaise personne, en omettant toutes les explications sociales qu’il pourrait y avoir derrière ça.

L’expérience sur la soumission à l’autorité du psychologue Milgram a par exemple montré comment des gens ordinaires pouvait être amenés à infliger de grandes souffrances à d’autres personnes, simplement en les mettant dans un contexte social où ils accepteraient la demande d’une autre personne mise dans une position d’autorité, mais ces gens-là n’étaient pas du tout forcés.

Je ne détaille pas l’expérience ici, mais en gros, elle montrait qu’en mettant les gens dans une position où ils délèguent leur responsabilité à une autorité, ce qu’on appelle l’état agentique, on pouvait assez facilement amener les sujets à électrocuter une autre personne (qui elle était complice de l’expérience, en vrai elle n’était pas électrocutée).

Et bien sûr on serait tenté·e de se dire que nous, dans cette situation, on n’aurait pas agi ainsi, il faudrait avoir un sacré problème pour faire ça. Sauf que non, les gens qu’on amène à faire ça sont des gens tout à fait ordinaires, la grande majorité a été au bout de l’expérience.

Ce qu’on peut conclure au vu de cette expérience et de beaucoup d’autres connaissances qu’on a sur l’influence sociale, c’est que les gens qui ont des comportements pouvant entraîner de la nuisance ne sont pas forcément des personnes malveillantes.

Bon et à l’inverse, une personne qui a un comportement bienveillant à un moment donné ne signifie pas qu’elle est bienveillante en général. Ne pas voir les autres comme des gens intrinsèquement dangereux et malveillants, ça permet d’être plus dans la compréhension et de garder une attitude bienveillante envers eux.

Et en plus de se demander comment les autres en arrivent à avoir des comportements entraînant de la souffrance, on peut aussi à réfléchir au fait que nous aussi, on agit certainement pas toujours très bien, et que le contexte social nous y influence, et pour beaucoup de nos comportements problématiques, on ne s’en rend même pas compte, comme on l’a vu dans la vidéo sur l’engagement et la dissonance cognitive, que je vais d’ailleurs assez souvent citer dans la vidéo présente.

En sociologie, lorsqu’on retrouve dans la société un certain comportement appliqué par plusieurs individus, on parle de fait social. Comme exemple de fait social : les gens s’habillent d’une manière dépendante de leur culture, il est plus difficile pour une personne noire de trouver un travail ou un logement, et il y a des agressions sexuelles, dont la grande majorité est faite par des hommes.

Et des exemples d’influence sociale, il y en a beaucoup. Je vous en donne juste quelques-uns, déjà il y a des normes sociales qu’on intègre, par exemple vous avez intégré une certaine manière de vous habiller, probablement conforme à votre genre, votre époque et vos groupes sociaux.

Il y a aussi le conformisme, qui nous pousse à changer nos comportements ou nos croyances pour les adapter à la majorité. La célèbre expérience de Asch (1951) par exemple, montre que dans une tâche très simple qui demande de comparer des tailles de ligne, les individus – alors qu’ils connaissent la bonne réponse – peuvent donner une mauvaise réponse juste parce qu’ils ont entendu d’autres personnes donner cette mauvaise réponse avant eux.

Et si vous dites que vous ne laisserez pas les autres et le contexte vous influencer, hé bien vous êtes peut-être dans un état de réactance, qui vous poussera à agir à l’inverse des normes pour lesquelles vous vous sentez incité·e. Donc vous êtes encore influencé·e par le contexte.

La réactance on en avait parlé, c’est l’état où on veut récupérer notre liberté lorsqu’on la sent menacée, elle nous pousse à ne pas accepter les choses qui nous sont imposées; à l’inverse on est plus conciliant·e lorsqu’on a le sentiment d’être libre. C’est pour ça que les différentes techniques de manipulation qu’on appelle soumission sans pression (ou soumission librement consentie) fonctionnent bien, c’est parce qu’on ne remarque pas qu’on nous influence. D’ailleurs dites-moi en commentaires si ça vous intéresse que je fasse une vidéo qui résume ces techniques, genre pied-dans-la-porte, etc.

Bon des exemples d’influence sociale, il y en a énormément, et le but ici n’est pas d’être exhaustif, l’important c’est surtout de comprendre que nos comportements et nos pensées sont fortement influencées par le contexte.

Donc la société a beaucoup d’influence sur nos pensées et nos comportements, et si on regarde à l’échelle de la société et de son évolution au cours du temps, on peut même voir que les idées et les valeurs sont très dépendantes des conditions économiques et matérielles dans lesquelles nous vivons, c’est ce que montre le courant de pensée qu’on appelle matérialiste. Et ici je ne parle pas du matérialisme comme le fait d’être attaché·e aux objets ou aux choses matérielles, mais du matérialisme comme on l’utilise en philosophie et en sociologie, c’est-à-dire l’idée que l’évolution des pensées est déterminée par le contexte matériel et les rapports sociaux. Cette notion nous apporte une meilleure compréhension des réalités sociales et des événements historiques en pensant les idéologies et l’évolution des idées non pas comme étant aléatoires ou se faisant au gré des réflexions de chacun·e, mais comme étant le produit des contextes sociaux et historiques

Et pour expliquer ça on peut prendre des exemples récurrents de la chaîne, en se demandant comment naissent les discriminations et oppressions.

Ça rejoint ce qu’on avait déjà dit dans la deuxième vidéo, ce ne sont pas les idéologies racistes ou spécistes qui ont amené à l’esclavage et l’exploitation, mais c’est les contextes sociaux et matériels, où on dépossède la vie d’autrui – les individus deviennent des marchandises, leur vie n’est plus à leur disposition – il y a un rapport de domination, qui a amené à construire des idéologies oppressives pour justifier l’oppression déjà en place.

Et comme on peut le voir au quotidien, les personnes véhiculant une idéologie spéciste n’ont pas conscience de ce qu’est le spécisme, donc ça ne découle pas du tout d’une simple erreur de raisonnement, où on aurait conclu qu’il faut être spéciste, et du coup on agit comme ça, non, c’est une réflexion qui existe uniquement parce que notre mode vie exploite les animaux, et donc on s’en justifie.

Et c’est vraiment intéressant de considérer les problématiques sociales comme pas seulement les comportements des individus, mais comme le fruit d’un contexte social dans lequel les individus s’inscrivent et ont été amenés à agir comme ils le font.

Pour aller plus loin sur cette réflexion matérialiste pour penser les oppressions, je vous invite à écouter cette conférence d’Axelle Playoust-Braure, où elle reprend des éléments du féminisme matérialiste pour les appliquer à d’autres oppressions, notamment au spécisme, et c’est vraiment génial.

L’intérêt d’analyser l’émergence des oppressions d’un point de vue déterministe et matérialiste, c’est que ça nous nous permet de comprendre qu’on est nous-mêmes du côté oppressif dans certains rapports sociaux, et que nos propres idées et comportements découlent de ces rapports de forces.

Donc si on a intégré une idéologie spéciste et oppressive envers les animaux, ce n’est pas parce qu’on est de mauvaises personnes, mais parce qu’on est dans une position de domination sociale envers eux, et que toute la société nous pousse à penser et agir comme on le fait, à travers la publicité, qui nous encourage à voir les animaux comme des biens consommables, le conformisme social, les multiples biais engageants : biais de confirmation, dissonance cognitive, engagement psychologique, qui nous amènent à se persuader qu’on agit bien.

Et il faut bien prendre en compte que ces facteurs engageants nous engagent sur des comportements qu’on n’a pas choisis, on nous a amené à consommer des animaux depuis notre enfance et on a construit notre pensée en fonction de ce rapport social, donc ce qui nous apparaît comme un choix personnel n’est finalement pas tellement un choix qui vient de nous.

Évidemment, vous pouvez faire le même raisonnement avec d’autres oppressions.

Bon, et maintenant on va déconstruire un autre problème social de taille : La Croyance en un monde juste, et la méritocratie.

LA CROYANCE EN UN MONDE JUSTE (CMJ)

On a tendance à penser que le monde est juste. Et si le monde est juste, alors les gens méritent ce qui leur arrive, ce qui nous amène à l’idée de méritocratie. Par méritocratie, on entend une idéologie qui considère que dans la société il y a des gens qui réussissent mieux, qui vont avoir une reconnaissance et un confort de vie supérieurs aux autres, et forcément, il y aura à l’inverse des personnes qui auront un statut social et des accès aux ressources plus faibles, mais c’est normal puisqu’elles ont mérité leur place.

Et si on regarde ça d’un œil déterministe, ça n’a pas vraiment de sens de parler de mérite, on a seulement été déterminé·e par tout un tas de facteurs antérieurs à nous, à agir et à être ce qu’on est aujourd’hui, personne n’est plus méritant que les autres.

Et c’est important de déconstruire la méritocratie, car elle est violente, elle renvoie à ceux qui n’ont pas réussi que c’est leur faute, qu’ils n’ont pas été assez bons ou qu’ils n’ont pas assez travaillé.

– “On peut très bien être conscient du déterminisme, mais quand même adhérer à la méritocratie, parce grâce à ça, les gens sont poussés à faire des efforts et pas juste se plaindre quand ça marche pas en accusant la société”.

Alors, c’est pertinent, mais il y a plusieurs choses qui me laisse penser que ça ne marche pas trop. Déjà, sur le plan psychologique, quand on dit aux gens qu’ils pourraient faire mieux s’ils faisaient des efforts, eh bien c’est pas très efficace, en ça peut même entraîner un sentiment de culpabilité, et pour beaucoup de gens, ça n’aide pas trop à avancer.

D’ailleurs, comme on l’a déjà vu quand on avait parlé de la labellisation, quand on laisse penser à une personne qu’elle est nulle ou fainéante, ça peut avoir pour effet qu’elle se perçoive comme l’étant d’autant plus, et donc la décourager à faire des efforts.

La méthode « si vous voulez que ça aille mieux, il suffit de faire des efforts », elle ne semble pas très pertinente, d’autant que ça pose un autre gros problème sur le plan politique et moral, car si on accepte que la société ait des inégalités en disant « y a des inégalités dans la société, mais tout le monde a les mêmes chances d’accéder à telle ou telle position privilégiée », ça revient à accepter que certaines personnes aient de belles vies pendant que d’autres sont dans la galère, en se persuadant qu’elles l’ont mérité. Sauf que vu qu’on a de base un système inégal, on sait pertinemment qu’il y aura des gens qui réussiront moins, ça n’a alors pas de sens de leur reprocher.

Et puis cette idée d’égalité des chances, c’est une illusion, puisqu’on a jamais une égalité des chances parfaites, et si c’était le cas ça voudrait dire que tout se joue au hasard. Puisque n’importe quelle différence de compétences, de volonté, etc. est forcément déterminée, donc une pure égalité des chances, c’est le hasard.

Politiquement, on peut opposer l’idée de l’égalité des chances, comme je viens de la décrire, à celle de l’égalité des places, qui revient plutôt à accepter que tout le monde n’a pas les mêmes chances, mais que la société doit faire en sorte que malgré ça, il y ait une certaine égalité entre les gens.

– “Et tout à l’heure tu as parlé de croyance en un monde juste, tu en dis pas plus ?”

Effectivement, j’y reviens, la croyance en un monde juste, c’est la tendance qu’on a à croire que le monde est juste, même quand on a toutes les raisons de penser qu’il ne l’est pas vraiment.

Et cette tendance à croire en cette justice illusoire, ça a été étudié en psychologie, on appelle ça la CMJ, croyance en un monde juste, et ça a été conceptualisé par le psychologue social Lerner.

Comme le montre une de ses expériences phares : Le paradigme de la victime innocente (Lerner & Simmons, 1966), on a tendance à blâmer les victimes, et à valoriser ceux qui réussissent, en se persuadant que c’est juste, même quand on a toutes les raisons de penser que ce n’est absolument pas juste.

Dans l’expérience en question, les participant·es voient des petits films, dont un où ils peuvent voir deux personnes travailler, autant l’une que l’autre, mais une seule des deux sera récompensée, avec un tirage au sort, donc c’est du pur hasard.

Et quand on questionne les participant·es là-dessus, ils ont tendance à considérer que la personne qui a gagné avait mieux travaillé, alors même que la récompense était totalement due au hasard.

D’ailleurs sur l’évolution de cette croyance en un monde juste, une étude de Paugan concernant le regard qu’on porte vis-à-vis de la pauvreté, a montré que ces dernières décennies, on est davantage passé d’une explication sociale de la pauvreté, à une explication plus individuelle. Les individus n’étaient plus les victimes du système social, mais les victimes d’elles-mêmes. S’ils sont pauvres, c’est qu’ils en sont responsables, ils ne sont pas assez mobilisés dans la recherche de travail, ou ils sont perçus comme des profiteurs, non seulement ils ne se bougent pas, mais en plus ils profitent du système.

Et de fait, comme je disais précédemment, ça a pour conséquences qu’on a tendance à blâmer les victimes. Dans les agressions sexuelles, on retrouve beaucoup cette tendance à mettre la faute sur les victimes, si une personne se fait agresser, peut être qu’elle l’a un peu cherché quand même, avec par exemple le fameux « ah mais vu comment elle était habillée ».

Avoir conscience du déterminisme, et déconstruire la méritocratie et la croyance en un monde juste, ça peut nous aider à avoir une attitude plus bienveillante envers les autres. Quel que soit le comportement des gens, leur personnalité ou des choses qui vous déplaisent chez eux, tout ça a été déterminé, tout comme vous êtes déterminé·es. Ça ne fait alors plus sens de blâmer les gens pour leur comportement, il est davantage pertinent de se montrer compréhensif·ve et bienveillant·e envers ces gens qui ont été déterminés à agir, tout comme nous. Après c’est clair que c’est pas toujours évident, surtout envers des gens qui font des actes qui nous touchent profondément.

En tout cas, si on a un objectif politique qui est de construire une société où les individus sont heureux et souffrent peu, il est urgent de déconstruire cette illusion de la méritocratie. Les gens ne méritent pas ce qui leur arrive, et chaque personne a le droit autant que toutes les autres d’avoir une vie décente.

– “Donc tu considères que même les tueurs en série et les pires criminels ils ont le droit de vivre comme n’importe quel citoyen malgré ce qu’ils ont fait ? Et au tribunal on les condamne pas puisque bon, les pauvres ils ont été déterminés à faire tout ça…”

Alors, c’est une critique récurrente faite au déterminisme, on affirme que : si on accepte qu’il n’y a pas de libre arbitre, alors il n’y a plus de justice puisque personne n’est responsable de quoi que ce soit, et n’importe qui peut commettre des crimes en disant « mais j’y suis pour rien, j’ai été déterminé·e à agir ainsi ».

Et je pense effectivement que les gens ne méritent pas ce qui leur arrive, et qu’en soi personne ne mérite de souffrir. Mais il y a quand même de bonnes raisons d’avoir un système judiciaire qui condamne et punit certains comportements. Mais la question à se poser ici c’est : à quoi ça sert d’avoir un système judiciaire ?

UNE JUSTICE SANS LIBRE ARBITRE ?

À quoi ça nous sert d’avoir une justice ? Si c’est pour donner aux gens ce qu’ils méritent, et punir les méchants, alors effectivement ce n’est pas très pertinent, mais la justice a tout de même un rôle politique intéressant, suivant le modèle de société qu’on veut avoir.

Si on veut plutôt faire en sorte qu’il y ait un maximum de personnes heureuses et épanouies, et le minimum de souffrance, sanctionner certains comportements peut être pertinent, pour signifier que dans la société, il y a des choses qu’on considère comme étant inacceptables, et que de fait, elles sont interdites.

Après il faut voir si le fait de punir permet de diminuer le nombre de ces comportements problématiques. Et d’un point de vue conséquentialiste, si la sanction permet de faire diminuer le nombre de crimes et d’instaurer un climat un peu plus paisible, alors cette sanction peut se justifier sans faire appel au libre arbitre.

Si on prend le cas d’une personne qui aurait commis d’atroces crimes, et qu’on avait la possibilité de la punir, est-ce qu’on devrait le faire ? Là je considère qu’à l’échelle de la société, la punition peut-être pertinente, car elle met en avant le fait que ces comportements ne sont pas acceptables. Mais en dehors de ça, imaginons qu’on ait la possibilité de faire souffrir cette personne avant qu’elle s’exile toute seule dans un lieu isolé, et que personne n’est au courant (et donc que ça n’aurait pas d’implication sociale positive telle que ce que ça renvoie aux autres personnes), alors je pense qu’il ne faudrait pas faire souffrir cette personne, parce que ce serait juste faire augmenter le taux de souffrances sans avoir de conséquences positives, et ce serait donc une mauvaise action.

CONCLUSION 

Bon en guise de conclusion pour cette vidéo un peu plus longue que d’habitude, je vais résumer ce qu’on vient de voir.

On a parlé de déterminisme et notamment des déterminismes sociaux : chacun·e d’entre nous est le produit de son environnement, et si on avait vécu différemment, on ne serait pas du tout les mêmes personnes que celles qu’on est aujourd’hui.

On a aussi vu qu’on avait tendance à penser que le monde est juste, et que ça nous pousse à considérer les situations inégalitaires comme acceptables par l’idée de mérite.

Et puisqu’en réalité le monde n’est pas juste, cette notion de mérite est un problème puisqu’elle vient justifier les inégalités de traitement.

On a donc conclu que les gens ne méritaient pas ce qui leur arrivait, pas même les punitions, mais que l’existence d’un système judiciaire pouvait tout à fait se défendre au vu des conséquences positives qu’il pouvait avoir sur la société.

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Sources et liens :

Script de la deuxième vidéo de la chaîne (sur l’engagement et la dissonance cognitive), plusieurs fois mentionné dans la vidéo présente :
https://mangayoh.fr/scripts-videos/theorie-de-lengagement-et-dissonance-cognitive/

Libre ou déterminé | Monsieur Phi :
https://www.youtube.com/watch?v=u3lapME67VI

Lerner, M. J., & Simmons, C. H. (1966). Observer’s reaction to the » innocent victim »: Compassion or rejection?. Journal of Personality and social Psychology.

Milgram, S. (1974). La Soumission à l’autorité : Un point de vue expérimental

Milgram, S. (1963). « Behavioral study of obedience », Journal of Abnormal and Social Psychology.

Paugam, S., & Duvous, N. (2008). La régulation des pauvres, PUF, coll. « Quadrige », 2008.

Chiffre sur les agressions :
https://www.vie-publique.fr/en-bref/19782-violences-sexuelles-1-femme-sur-7-victime-dune-agression-dans-sa-vie

Sur le racisme systémique (exemple donné du logement, travail) | Vlanx :
https://www.youtube.com/watch?v=HGdDfB45W3U

L’erreur fondamental d’attribution / effet Julien Lepers | Horizon Gull :
https://www.youtube.com/watch?v=mrXtwcGkroI
Et expliqué en 3 minutes :
L’erreur fondamentale d’attribution  | Dans vos têtes :
https://www.youtube.com/watch?v=_KtglMt-zmI

D’où vient l’acte terroriste | La tronche en biais :
https://www.youtube.com/watch?v=kWz_8bvvO18

Est-ce que les gens méritent ce qui leur arrive ? | La psy qui parle :
https://www.youtube.com/watch?v=PdHUnktIxGg

Conférence PEA | de Axelle Playoust-Braure | Le matérialisme, un cadre de pensée pour le spécisme :
https://www.youtube.com/watch?v=vZHyp8c_l6Y

Conférence de Axelle Playoust-Braure, sur l’influence des pubs sur les pensées spécistes :
https://www.youtube.com/watch?v=xxfIgJuHE5U

Écriture : Yohann Hoarau
Montage : Nicolas B