Cet article reprend le texte de la vidéo que vous pouvez trouver sur Youtube et Peertube.

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L’antispécisme s’oppose-il à l’humanisme ? Et de fait, est-ce que les antispécistes sont moins concernés par les causes humaines ?

C’est une critique récurrente qui est faite aux antispécistes. Les intérêts des animaux seraient prioritaires sur ceux des humains. L’antispécisme serait une forme d’anti-humanisme.

Et en fait… c’est pas tout à fait faux, mais… c’est pas tout à fait vrai non plus.

En fait, tout dépend de ce qu’on entend par humanisme.

Si on définit l’humanisme comme le fait de prioriser les intérêts des humains aux détriments de ceux des non-humains, et donc d’asservir le reste des autres animaux pour les humains, ce qu’on peut appeler donc un suprémacisme humain ou un humanisme exclusif, alors là, évidemment, l’antispécisme s’opposera à l’humanisme.

Par contre, Si on définit l’humanisme comme les valeurs de respect, de considération, de bienveillance, de solidarité, etc. ce qu’on appelle un humanisme inclusif,  alors l’antispécisme s’inscrit dans la continuité de l’humanisme, mais en étendant ces valeurs au delà de juste les humains.

Et dans la perspective sentientiste, on va étendre la considération à tous les êtres sentients, tous les êtres ayant des ressentis subjectifs.

Et ensuite, on a la critique selon laquelle les antispécistes – en tant qu’individus – s’occuperaient des animaux en délaissant les luttes qui concernent les humains, bon là la question est vite répondue : Non. 

Et ce non, je ne le tire pas d’une intuition, les liens entre le spécisme et d’autres idéologies oppressives, les liens entre la violence envers les humains et celle envers les animaux, c’est en fait très étudié en psychologie sociale, et voilà un petit résumé de ce qu’on trouve dans ces études
– Les personnes ayant plus d’empathie envers les animaux non-humains font également preuve de plus de compassion envers les humains.
– Et inversement, les attitudes négatives envers les animaux sont corrélées avec les préjugés ethniques, le sexisme et l’homophobie.
– On a aussi l’anthropocentrisme (l’opinion selon laquelle les humains sont intrinsèquement supérieurs aux autres animaux) qui est corrélé avec l’ethnocentrisme (l’opinion selon laquelle sa propre culture est supérieure aux autres).
– Quant au spécisme, il est corrélé à des attitudes plus négatives à l’égard des groupes infériorisés, et également au conservatisme politique, au manque d’ouverture d’esprit, et au fait d’adhérer aux idéologies de droite.
– En moyenne, les personnes plus spécistes ont des attitudes moins positives envers : les artistes, les personnes handicapées, les personnes âgées, les écologistes, les féministes, les homosexuels, les immigrés, les lesbiennes, les musulmans, les chômeurs, et – sans surprise – les végétariens.
– On a aussi l’Orientation de dominance sociale – c’est-à-dire l’adhésion à des hiérarchies sociales – qui est corrélée à un plus grand déni des émotions des animaux et à une plus faible préoccupation morale envers eux.
– Les personnes qui ont un niveau plus élevé d’autoritarisme de droite montrent moins d’empathie envers les animaux, plus d’anti-végétalisme, plus d’approbation des justifications de l’exploitation animale, et de volonté de consommer de la viande.
– À l’inverse, les personnes plus à gauche considèrent le végétalisme de manière plus positive, et se montrent plus disposés à réduire leur consommation de viande.

Donc ça c’était surtout vis-à-vis de l’idéologie spéciste et des attitudes envers les animaux, mais on a aussi des corrélations selon le régime alimentaire (Veser et al. 2015) :
– Par rapport aux personnes qui mangent de la viande, les personnes avec un régime végétalien sont plus concernées par les problèmes environnementaux, ont moins de préjugés contre les minorités, montrent moins d’autoritarisme. Là ou à l’inverse, les personnes omnivores montrent plus de soutien à la dominance sociale et aux structures autoritaires, et ont plus tendance à rejeter les relations égalitaires (Précisons que ces différences sont surtout marquées chez les hommes, plus que chez les femmes).
– Et – ça, ça vient pas d’une étude mais d’un sondage IFOP – les hommes qui se qualifient de viandards votent davantage à droite, et les gros consommateurs de viande rouge adhèrent beaucoup plus aux stéréotypes sexistes – Bon rien d’étonnant vu que la consommation de viande pour les hommes fait justement parti des stéréotypes de genre.
– Et les hommes qui se sentent menacés dans leur masculinité sont plus susceptibles d’acheter de la viande rouge.

Voilà pour l’alimentation, et par dessus ça on peut aussi noter des corrélations avec les violences directes sur les animaux :
– On retrouve plus de maltraitances envers les animaux domestiques chez les auteurs de violences envers les humains, telles que les violences conjugales.

Voilà pour les corrélations. Évidemment, je précise deux choses :
Ce sont juste des corrélations, et elles n’impliquent absolument pas que toutes les personnes spécistes ont tous les traits qui y sont associés en moyenne, ni que les personnes antispécistes ou végétaliennes ont tous les traits qui y sont associés en moyenne. Ces corrélations ne permettent pas de faire généralités.
Et elles ne sont absolument pas suffisantes à elles seules pour décrédibiliser le spécisme.

Ce qu’on peut raisonnablement affirmer à partir de ces données par contre, c’est que la critique faite aux antispécistes – et plus largement aux animalistes – comme quoi ils se préoccupent des animaux aux détriments des humains est fausse (j’ai fait plusieurs versions de cette phrase en impro).

L’origine de ces liens

Et comment on explique ces liens entre les attitudes envers les animaux et celles envers les humains ? Parce que là, on a plusieurs corrélations, mais comme on l’a déjà dit à plusieurs reprises sur la chaîne, une corrélation n’indique en rien une causalité.

En recherche, il est courant de contrôler des variables pour vérifier si elles ont une influence sur ce qu’on cherche, et éventuellement contrôler cet effet. Par exemple, on a une corrélation entre la consommation de produits animaux et l’autoritarisme, mais on sait que les hommes en moyenne ont des plus hauts scores d’autoritarisme que les femmes, et consomment également plus de viande. Donc pour s’assurer que notre corrélation spécisme / autoritarisme ne soit pas juste du au fait que les hommes aient (en moyenne) davantage ces traits là, on va contrôler la variable du genre, en testant la corrélation au sein du groupe hommes et au sein du groupe femme.

Et c’est pour ça que souvent dans un protocole expérimental, on contrôle les variables susceptibles de biaiser le résultat – ce qu’on appelle des variables confondates (on parle de variables parasites quand on ne peut pas les contrôler) – en ayant dans chaque groupe autant d’homme que de femme, autant de personne avec telles ou telles caractéristiques qui pourraient influencer le résultats, etc.

Avec cet exemple du genre, même après contrôle de cette variable, on voit que le lien entre consommation de produits animaux et autoritarisme est toujours là, bien qu’on la retrouve surtout chez les hommes. Ce qu’on peut en conclure, c’est que la variable du genre à elle seule ne permet pas d’expliquer ce lien, sinon la corrélation aurait disparu en contrôlant la variable.

Du coup, en testant plein de variables de cette manière, on ne peut pas affirmer que tel trait mesuré est la cause des autres, mais on peut éliminer certaines variables – comme avec l’exemple du genre – pour réduire le nombre de variables pouvant expliquer les corrélations.

Par exemple, l’orientation à la dominance sociale (le SDO : Social Dominance Orientation), les préjugés ethniques, et le spécisme, sont tous trois liés de manière significative. Et on va contrôler une de ces variables pour voir si les deux autres sont toujours corrélées.

Si on contrôle le niveau de spécisme, la corrélation entre le SDO et les préjugés ethniques reste significative. Donc le spécisme n’explique pas l’association entre les préjugés ethniques et le SDO.

Quand on contrôle les préjugés ethniques, là non plus, cette variable ne semble pas expliquer l’association entre spécisme et SDO, puisque la corrélation est toujours significative.

Par contre, une fois qu’on contrôle le SDO (l’Orientation à la dominance sociale), la corrélation entre le spécisme et les préjugés ethniques n’est plus statistiquement significative. Ce qui suggère que le SDO peut expliquer le lien entre racisme et spécisme.

Et en analysant comme ça chaque corrélation, les chercheurs ont mis en évidence que l’Orientation à la Dominance Sociale était un facteur commun à la plupart de ces variables. Et donc qu’une approbation générale de la hiérarchie sociale et aux inégalités pouvait expliquer la relation entre le spécisme et d’autres types de préjugés.

Ces données qui indiquent que l’orientation à la dominance sociale est un facteur commun entre le spécisme et les attitudes à l’égard des groupes humains de faible statut viennent à l’appui du SD-HARM : Modèle de Dominance Sociale des Relations Homme/Animal (Dhont, Hodson et Leite, 2016) selon lequel le spécisme et les préjugés entre humains sont sous-tendus par les mêmes racines idéologiques.

Et l’hypothèse qui en ressort donc, c’est que le spécisme et les préjugés ethniques seraient liés de manière significative parce que les attitudes envers les sous-groupes d’animaux humains et non humains sont fondées sur un désir généralisé d’inégalité et de relations structurées de manière hiérarchique.

Autre exemple, on a une corrélation entre le racisme et le conservatisme politique, mais qui n’est plus statistiquement significative après la prise en compte du SDO. Ce qui soutient l’hypothèse que le conservatisme et le racisme sont corrélés parce qu’ils sont tous deux enracinés dans des logiques compétitives et de dominance (c’est-à-dire le SDO).

Ce modèle dans lequel le SDO est une racine idéologique commune à différentes attitudes oppressives vient soutenir les philosophes et les activistes qui suggéraient déjà que les tendances préjudiciables envers les groupes humains et les animaux sont interconnectées, et ça vient donner une explication psychologique de pourquoi ces préjudices sont systématiquement connectés.

L’ORIENTATION À LA DOMINANCE SOCIALE (SDO) ?

– C’est une attitude favorable et une préférence générale pour les systèmes sociaux inégaux et hiérarchiques, et pour que notre groupe (l’endogroupe) soit dominant et supérieur par rapport aux autres groupes (exogroupes). Le SDO exprime un soutien général à la domination fondée sur le groupe, « quelle que soit la manière dont ces groupes sont définis » (Comme on l’avait vu dans la première vidéo, les identités de groupes et le favoritisme pro-endogroupe qui va avec peut se faire sur n’importe quel critère, tant que la différence et l’identité de groupe sont rendues saillantes).
– Le SDO est corrélée avec les préjugés contre un large éventail de groupes humains défavorisés, et la résistance aux politiques et procédures visant à réduire les inégalités. Elle est également corrélée à une baisse de l’empathie envers les autres.
– Les personnes avec un SDO très prononcé vivent davantage les relations sociales comme une lutte, où il existe une hiérarchie « naturelle » où les plus forts l’emportent. Elles adhèrent à la hiérarchie et à la domination et pensent qu’il est normal que certains groupes en dominent d’autres, que les inégalités entre les groupes sont inévitables, acceptables et nécessaires.
– Elles sont moins préoccupées par le bien-être des autres, ont tendance à avoir des préjugés à l’encontre de nombreux groupes et approuvent la compétition et les stéréotypes qui impliquent que l’inégalité est méritée (comme les croyances selon lesquelles les groupes à faible statut manquent de motivation par exemple).
– Et pour finir, elles sont plus susceptibles de soutenir les pratiques d’exploitation épuisant les ressources naturelles et de nier le changement climatique. Et elles considèrent les humains comme supérieurs aux non-humains.
– Inversement, les personnes peu orientées vers la dominance sociale soutiennent plus des idéaux d’égalité, qui atténuent la hiérarchie et privilégient la coopération.

Voilà, et ce trait semble être en moyenne plus élevé chez les hommes que chez les femmes, indépendamment du contexte.

Comme on l’a dit, le modèle de Dominance Sociale des Relations Homme/Animal suggère que l’Orientation à la Dominance Sociale constitue un noyau commun aux différents préjugés envers les différents groupes infériorisés, et permet d’expliquer le lien entre les attitudes spécistes et les différentes attitudes préjudiciables à des humains tels que les préjugés ethniques ou les soutiens à des politiques inégalitaires.

Bon, évidemment il y a des nuances, et le SDO n’explique pas tout non plus. Par exemple, le spécisme est aussi corrélé négativement avec la préoccupation empathique, corrélation qui reste forte même en contrôlant le SDO, ce qui suggère que la préoccupation empathique pourrait également être un facteur amenant à des attitudes spécistes ou antispécistes.

Et même après avoir tenu compte du SDO, le conservatisme politique est lui aussi toujours corrélé significativement au spécisme. Et de même pour l’autoritarisme de droite. Et ce qui semble expliquer ça, c’est que l’adhésion à l’exploitation des animaux se fassent non pas par préférence des hiérarchies comme pour les gens avec un fort SDO, mais par un désir conservateur de maintien du modèle social en place et de résistance au changement, où le végétarisme et l’antispécisme sont perçus comme des menaces pour les normes sociales.

En tout cas, le fait de savoir que différentes oppressions sont liées, ça peut nous aiguiller sur des solutions. Est-ce que combattre un type de préjugé aura des répercussions sur d’autres types de préjugé. Et est-ce que combattre le SDO serait une stratégie efficace pour des répercussions positives sur les autres oppressions ?

D’ailleurs une solution qui semble efficace pour réduire le SDO, c’est d’augmenter les contacts avec les groupes extérieurs. Et il semble aussi que les changements apportés à un type de préjugé peuvent avoir un impact sur l’autre type, et donc qu’un contact positif avec des exogroupes, humains ou non-humains, peut abaisser les niveaux de SDO d’une manière à réduire ensuite les préjugés envers d’autres exogroupes.

C’est ce qu’on retrouve dans les études ou le fait de souligner à quel point les animaux sont similaires aux humains (c’est-à-dire qui  » élèvent  » les animaux au niveau des humains) réduit les préjugés à l’égard des immigrés et élargissent la préoccupation morale pour les groupes marginalisés. L’inclusion morale des animaux neutralise la déshumanisation des groupes marginaux.

D’ailleurs la déshumanisation, c’est aussi un sujet très étudié en psychologie sociale, et les travaux là-dessus peuvent nous aider à comprendre le lien entre le spécisme et les discriminations envers les humains.

LA DÉSHUMANISATION :

La déshumanisation, c’est un processus par lequel on rabaisse le statut des individus en les considérant moins qu’humain, souvent en les assimilant à des animaux. Du coup ça les excluent de notre communauté morale, et ils se retrouvent dépouillés de la “dignité humaine”, cette considération habituellement donnée à ceux qu’on inclut dans cette communauté humaine.

Lorsque les individus sont déshumanisés, on leur refuse les caractères uniques de l’être humain, et ils sont donc généralement considérés comme manquant de raffinement, de maîtrise de soi, d’intelligence et de rationalité, et sont assimilés à des animaux.

Globalement, les gens ont tendance à percevoir les membres des autres groupes (l’exogroupe) comme moins humains que ceux de leur groupe intérieur (l’endogroupe).

La déshumanisation, c’est un élément essentiel des conflits entre groupes. Elle permet de réduire les comportements prosociaux envers les personnes déshumanisées, et inversement, d’augmenter les comportements antisociaux. Elle permet un désengagement moral en minimisant la gravité de comportements violents envers les personnes déshumanisées, et en minimisant l’empathie à leur égard.

Elle a servi – et sert encore – à justifier beaucoup d’actes de violence, notamment en tant de guerre. Et même chez les enfants, la tendance à déshumaniser les autres est associée à plus de comportements agressifs et à moins de culpabilité et de remords vis-à-vis de ces comportements.

Bon et le lien avec le spécisme, il est où ?

La déshumanisation est intrinsèquement liée aux croyances en la supériorité des humains sur les animaux.

Par exemple, les métaphores animales signifient souvent une dévalorisation voire du dégoût, les personnes noires ont été et sont encore déshumanisées en étant comparé à des singes, et les juifs comparé entre autre à des rats par le régime nazi.

Le langage de la déshumanisation, qui qualifie les femmes de chiennes, les agresseurs de porcs, ou les gens qu’on considère idiots de pigeons, sert à les dévaloriser et à les priver de leur valeur morale. Mais ça, ça marche que parce qu’on a déjà une image négative de ces animaux qu’on utilise comme des insultes.

Et du coup, c’est pas étonnant au vu de tout ce qu’on a déjà dit, mais plus les personnes perçoivent un fossé important entre les humains et les autres animaux, plus elles sont enclines à la déshumanisation raciale.

La croyance en la suprématie des humains sur les animaux est associée à l’oppression des groupes humains marginalisés.

Cette croyance en une frontière insurmontable entre les humains et les animaux est au fondement de la déshumanisation des exogroupes humains, puisque cette déshumanisation est rendue possible à cause de ce fossé moral entre l’humanité et l’animalité : c’est ça qui permet de retirer des humains du groupe humain, puis de les assimiler au groupe « animal » qui lui n’a pas cette considération morale (extrait Trump). C’est l’animalisation des animaux qui rend possible de l’animalisation des humains.

Comprendre les fondements psychologiques des relations entre l’homme et l’animal est donc pertinent pour la lutte animaliste, mais aussi pour les luttes qui concernent les humains.

D’ailleurs, lorsque les similitudes entre les animaux et les humains sont mises en évidence, non seulement le spécisme diminue, mais la préoccupation morale pour les groupes humains marginalisés augmente.

Des études ont montré que le fait de mettre l’accent sur les similitudes entre les humains et les animaux conduit à une perception humanisée des immigrés.

Et un truc intéressant à noter là-dessus, c’est que le fait de penser que les animaux sont similaires aux humains entraîne une augmentation de l’attribution d’une vie mentale et de leur statut moral – ça c’est pas surprenant, c’est ce qu’on vient de voir – mais à l’inverse, le fait de penser que les humains sont similaires aux animaux n’entraîne pas cette augmentation.

Pour diminuer la déshumanisation, et de fait, augmenter les comportements prosociaux, une méthode qui semble efficace, c’est d’augmenter les interactions entre les membres des différents groupes. On peut aussi promouvoir une identité commune en soulignant les similitudes des différents sous-groupes et en nuançant leurs frontières. Bon, formulé ainsi, ça donne envie de mettre en avant la sentience comme trait commun, mais ça n’a pas été testé dans les études.

À une échelle plus individuelle, il semble aussi que compléter l’identité des personnes stigmatisées en donnant d’autres informations sur elles – genre donner des informations sur l’âge, le genre, etc – atténue les perceptions déshumanisantes de ces personnes.

Mais y a quand même assez peu d’études sur la réduction de la déshumanisation, et les auteurs concluent qu’au vu de cette rareté, et de l’importance du sujet, la recherche là-dessus est une priorité assez urgente.

Parallèle avec la conception sociologique matérialiste

Ce qu’on vient de voir sur la déshumanisation se recoupe avec des réflexions qu’on retrouve du côté de la sociologie sur l’animalisation des individus, notamment chez Axelle Playoust-Braure ou Kaoutar Harchi que je vous invite à aller lire ou écouter.

Cette perspective sociologique montre que l’animalisation est un processus social, qui extrait des membres du groupe “humain” pour les mettre dans le groupe “animal”.

En ce sens, l’humanité et l’animalité sont donc des groupes sociaux, qui ne reposent pas sur une catégorisation biologique. C’est pour ça qu’on dit que des gens “manquent d’humanité” ou “ne sont pas humains”, alors même qu’ils restent biologiquement des homo sapiens.

Inversement, quand on dit que telle personne “est un animal”, on ne fait pas un rappel biologique, on utilise le terme “animal” pour renvoyer à une certaine position sociale.

Et quand les membres de ce groupe animalisé s’en défendent en disant “on n’est pas des animaux”, ils ne prétendent pas rejeter une classification biologique, ils rejettent le stigmate d’une catégorisation sociale humiliante.

De même, l’usage des termes hommes et femmes ne renvoie pas à des groupes biologiques, mais à des groupes sociaux, comme on l’avait vu dans la vidéo sur le genre. Si on était sur une définition biologique, ça ne ferait pas sens de dire “être un vrai homme” ou de parler de “garçons manqués”. (citation Monique Wittig et Simone de Beauvoir).

Cette dichotomie hiérarchique entre l’humanité et l’animalité permet de légitimer la domination envers les individus animalisés. Elle permet donc de nuire aux animaux, mais aussi aux humains animalisés. Et du coup, elle est également un soubassement du racisme, comme le disent Aph et Syl Ko, militantes anti-racistes : “La racine du racisme est cette distinction entre l’humain et l’animal d’un point de vue social”, “le statut inférieur attribué à “l’animal” est une condition essentielle au fonctionnement du système raciste”.

Et c’est pour cette raison que réfuter l’assimilation avec le groupe des animaux, en disant “on est pas des animaux” n’est pas la stratégie la plus pertinente, et peut même s’avérer contre-productive, puisqu’elle maintient la dichotomie humain/animal et l’idée qu’il y a des êtres qui ont de la valeur et d’autres qu’on peut moins considérer et moins bien traiter.

Si on veut résoudre le problème de fond, il faut donc s’attaquer au spécisme, et donc à “l’animalisation” et à la dévalorisation des animaux. Pour qu’on ne puisse plus dévaloriser des individus ou justifier des traitements défavorables en les assimilant à ce groupe des animalisés.

Et en plus du racisme, la déshumanisation est aussi imbriquée avec le sexisme, par lequel les femmes sont souvent animalisées. En étant par exemple assimilées à des chiennes, à des proies ou à des “morceaux de viande”. D’ailleurs, des recherches montrent que les hommes qui associent implicitement les femmes à des animaux montrent une plus grande propension à les agresser et harceler sexuellement.

CONCLUSION :

Comme on l’a vu, l’idée selon laquelle l’antispécisme se ferait au détriment des luttes humaines n’est pas avérée. Et au contraire même, c’est le spécisme et les violences envers les animaux qui sont corrélés avec les attitudes préjudiciables envers les humains.

Et au-delà des corrélations, le spécisme et les autres oppressions ont des structures similaires. Tout comme le racisme et le sexisme, le spécisme, c’est :
– un rapport de domination, un rapport de classe, dans lequel un groupe (ici les humains) en utilise un autre (les animaux) à ses propres fins.
– C’est aussi un ensemble de stéréotypes et de préjugés psychologiques, qui fondent un système de croyances oppressif selon lequel les individus n’ont pas la même valeur selon leur espèce, et notamment que les humains ont intrinsèquement plus de valeur. Et ce système de croyance fonctionne comme un mythe de légitimation du rapport social en place. Et on retrouve d’ailleurs de nombreux points communs entre les mythes utilisés pour justifier le traitement des animaux et ceux appliqués aux groupes humains.
Ces systèmes de croyance semblent reposer en partie sur un noyau commun qu’est l’orientation à la dominance sociale, qui est un dénominateur commun à de nombreux types de préjugés.

Les attitudes et comportements préjudiciables envers les autres diffèrent selon certaines caractéristiques individuelles, différents parcours et contexte de vie, et s’intéresser à tout ça pourrait permettre de mieux cerner et combattre les discriminations, comme on l’a vu avec les travaux s’intéressant à ce qui pourrait faire diminuer la déshumanisation.

Autre exemple, Il semble que l’exposition pendant l’enfance à des violences telle que la maltraitance animale ou les violences domestiques augmentent le risque de maltraiter les animaux, et il semble également qu’un enfant qui maltraite des animaux aura plus de chance d’être également violent envers les humains plus tard, mais aussi qu’il a plus de chance d’être lui-même maltraité dans sa famille ou à l’école. Donc, étudier tous ces liens pourrait peut-être nous aider à une meilleure prévention de diverses formes de violences.
L’étude des traits psychologiques comme l’orientation à la dominance sociale permet de comprendre comment les oppressions se maintiennent en s’intéressant notamment aux croyances des individus. Et de manière plus systémique, on peut aussi se questionner sur les facteurs sociaux qui favorisent ces croyances et cette préférence pour la domination et les hiérarchies. Les oppressions restent en premier lieu des rapports sociaux, et les idéologies oppressives ne sont pas tant le résultat d’une réflexion que d’un contexte social, elles sont surtout des moyens de légitimer des rapports de domination et d’appropriation. C’est là aussi une thèse déjà avancée par la sociologie et la grille de lecture du féminisme matérialiste, et cette analyse est là encore confirmée par des travaux expérimentaux en psychologie sociale. Et on verra ça dans une prochaine vidéo qui sera dédiée à la dissonance cognitive relative à la viande et à l’exploitation animale. Évidemment, abonnez-vous pour ne pas la manquer.

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Sources :

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Veser, P., Taylor, K. and Singer, S. (2015), « Diet, authoritarianism, social dominance orientation, and predisposition to prejudice : Results of a German survey « , British Food Journal, Vol. 117 No. 7, pp. 1949-1960. https://doi.org/10.1108/BFJ-12-2014-0409

Dhont, K., Hodson, G. & Leite, A. C. (2016). Common Ideological Roots of Speciesism and Generalized Ethnic Prejudice : The Social Dominance Human–Animal Relations Model (SD–HARM). European Journal of Personality, 30(6), 507‑522. https://doi.org/10.1002/per.2069

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Sondage IFOP pour Darwin Nutrition : Viande, genre et politique : https://www.darwin-nutrition.fr/actualites/consommation-viande-francais/?fbclid=IwAR2mS34rOhbqayRQRPxXlOptd52nHgpeoignQLPFT71am5NnxM-fV2tyhe0

“Lorsqu’on dit humain, tout le monde entend blanc”, à propos de Aph et Syl Ko, Aphro-ism (2017). Par Dalida Awada, sur l’Amorce : https://lamorce.co/lorsquon-dit-humain-tout-le-monde-entend-blanc-a-propos-de-aph-et-syl-ko-aphro-ism-2017/

Citation de Syl Ko sur raiefutée.

Conférence d’Axelle Playoust-Braure | L’espèce comme variable sociologique – un point de vue matérialiste : https://www.youtube.com/watch?v=qCho8E97wGM

La vidéo de Trump sur les migrants : https://www.youtube.com/watch?v=aib5Ts2cDI8

Écriture : Yohann Hoarau
Montage : Léo Génin
Relecture : Rémi Pénisson, Axelle Playoust Braure, Lyla (@raie futée)