Cet article reprend le texte de la vidéo que vous pouvez trouver sur Youtube et Peertube.

Les liens vers la chaîne :
Peertube : https://tube.kher.nl/video-channels/mangayoh_channel/videos
Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCImVxjIl3rIEoQIqeDIvKfA/videos

Salut ! Et bienvenue dans cette vidéo où on va parler d’utilitarisme.

Alors l’utilitarisme, c’est une philosophie morale qui nous dit qu’il serait bien de maximiser le bonheur et de minimiser les souffrances, et à l’inverse, qu’il serait beaucoup moins bien de diminuer le bonheur, et d’augmenter les souffrances.

Alors il y a déjà pas mal de vidéo qui parlent d’utilitarisme, et la particularité de celle-ci c’est que je vais pas seulement expliquer ce qu’est l’utilitarisme, je vais également défendre l’idée que c’est le système moral le plus pertinent, ou en tout cas, celui que nous devrions choisir, et qu’on y gagnerait tous si tout le monde adoptait cette position.

Après je n’ai pas de soucis à changer d’avis donc si vous avez des contre-arguments intéressants, n’hésitez pas à les donner en commentaires.

UNE MORALE CONSÉQUENTIALISTE

Alors l’utilitarisme, c’est une théorie conséquentialiste, c’est-à-dire qu’elle considère que les actions sont bonnes ou mauvaises en fonction de leurs conséquences, et non pour les actions en elles-mêmes. Elle s’oppose donc au déontologisme qui considère que les actions sont intrinsèquement bonnes ou mauvaises, quelles que soient leurs conséquences.

Un exemple très classique, c’est celui de Kant avec le mensonge. D’un point de vue déontologiste, si on considère que mentir c’est mal, alors il ne faut jamais mentir, même dans des cas où ça permettrait de sauver des vies ou d’avoir d’autres conséquences qu’on pourrait considérer comme positives.

Mais, dans une logique conséquentialiste, nos actions sont morales ou immorales, en fonction des conséquences qu’elles ont, ou plutôt des conséquences qu’on attend d’elles.

– “Ça d’accord, c’est les conséquences de nos actions qui doivent être positives, mais comment on détermine quelles sont les conséquences positives et les conséquences négatives ?”.

Effectivement, le conséquentialisme à lui seul ne nous dit rien sur ce qu’est une bonne ou une mauvaise conséquence.

On pourrait très bien être conséquentialiste et considérer qu’une conséquence est bonne si elle permet de “produire une maximum de carottes” ou de “maximiser le nombre de trombones ou de nains de jardin dans l’univers” (extraits provenant de la vidéo de Mr.phi sur le conséquentialisme et de Vlanx sur l’utilitarisme).

Mais pour les utilitaristes, les conséquences positives, c’est réduire la souffrance et augmenter le bonheur

– “Ok, et pourquoi ce critère-là et pas un autre ? Comme celui de la maximisation des carottes ou des nains de jardin ?”

Effectivement, ça peut sembler arbitraire de considérer ce critère-là et pas un autre, mais on va voir ici quelques arguments permettant d’affirmer que le critère de la souffrance et du bonheur est un critère probablement plus pertinent que les autres.

POURQUOI CE CRITÈRE ?

Dans la première vidéo de cette chaîne, on a parlé de sentientisme, idée selon laquelle on devrait se préoccuper du sort des individus sentients, qui peuvent avoir des ressentis, de la joie, de la souffrance, et qu’un être non-sentient n’a aucun intérêt à être défendu puisqu’il n’a pas d’intérêt propre.

Et l’utilitarisme est fortement lié au sentientisme, car l’idée est de réduire les souffrances et augmenter le bonheur, mais les souffrances et le bonheur de qui ? Eh bien de ceux qui peuvent souffrir ou ressentir du bonheur, donc des êtres sentients.

C’est d’ailleurs souvent que Jérémy Bentham, le père de l’utilitarisme, est cité pour illustrer le sentientisme, avec cette fameuse phrase : « La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? Ni : peuvent-ils parler ? Mais : peuvent-ils souffrir ? »

L’idée étant qu’à partir du moment où un être peut ressentir de la souffrance, il devient moral de réduire cette souffrance.

– “Mais ça c’est ta morale, y a pas de raison qu’elle s’applique à tout le monde. Le fait qu’il existe de la souffrance ne nous dit pas qu’il faut qu’on la diminue ou pas”.

Tout à fait, ce raisonnement que tu fais là, c’est ce qu’on appelle la guillotine de Hume, « ce qui est ne dit pas ce qui doit être ».

– “Donc dès qu’on dit il faut faire ou éviter quelque chose, on est sur quelque chose d’arbitraire, ta morale sera toujours subjective. Et si chacun à sa propre morale, et on ne pourra jamais en rendre une seule universelle”.

Certes, mais… il se trouve qu’il y a quand même une chose qui est universelle : C’est que les êtres qui peuvent ressentir du plaisir ou de la souffrance ont intérêt à ressentir du plaisir et à éviter la souffrance. Ce n’est pas dans mon intérêt de souffrir et ce n’est pas non plus dans le vôtre. On a, à l’inverse, un intérêt à être heureux. L’utilitarisme est pertinent parce qu’il se base sur le seul axiome commun à tous, il permet donc de construire un système moral universel.

– “C’est faux il y a des gens qui aiment souffrir”

Comme tu dis, ils aiment souffrir, ça veut bien dire que malgré la douleur qu’ils ressentent, ils en tirent du plaisir, ou du moins une expérience positive.

Et il faut bien distinguer les stimuli extérieurs, comme jouer à un jeu ou se faire frapper, et le ressenti de la personne. Un même stimulus ne provoquera pas le même degré de souffrances et de plaisir suivant la personne qui le reçoit et son état mental du moment.

Et quand je parle ici de plaisir et de souffrances, on peut le prendre dans le sens bien plus large, on peut parler d’expériences vécues positives et d’expériences vécues négatives.

Ou pour encore simplifier, de ressenti (plus ou moins) agréable ou désagréable.

Je ne pose pas ici la question de qu’est-ce qui est préférable entre le plaisir intellectuel et le plaisir physique comme le font certains (John Stuart Mill par exemple), ni même la distinction plaisir / bonheur, ça je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, c’est que j’ai un intérêt à maximiser mes expériences agréables et à minimiser mes expériences désagréables, et que cette phrase est valable pour tous les êtres sentients.

– “Après on peut pas toujours vouloir éviter la souffrance, sinon on avance pas, des fois souffrir ça nous aide à avancer ou à réussir. À l’inverse, est-ce que t’es certain que chercher toujours plus de plaisir te rendra heureux ? Et tu peux aussi croire que tu fais une bonne action en réduisant la souffrance, mais qui te dit que ça aura pas des mauvaises conséquences par la suite”.

Là on est d’accord en fait, si on regarde uniquement à court terme, on manque de prendre en compte beaucoup de conséquences futures, on est donc bien loin du raisonnement conséquentialiste qu’on veut avoir ici. On doit bien considérer le bonheur et les souffrances totales, et donc à long terme.

Ce qui est sûr c’est qu’un monde avec 100 unités de bonheur et 10 unités de souffrances est préférable à un monde avec 100 unités de souffrances et 10 unités de bonheur.

– “ça c’est un problème de l’utilitarisme aussi, c’est très « mathématique », mais dans la réalité on ne peut pas chiffrer la souffrance. Et puis on est pas des ordinateurs, au quotidien on raisonne avec des idées, des concepts, pas avec des calculs”.

Tout à fait, et l’idée des chiffres pour comparer c’est juste pour donner l’exemple qu’un monde avec plus de bonheur et moins de souffrances est préférable. En pratique, il est clair qu’on ne va pas calculer pour chacun de nos actes les souffrances et bonheur engendrés. On va utiliser des lois, des règles, des valeurs, qui vont nous aider à agir en ce sens au quotidien, mais au final, c’est bien le bonheur et la souffrance les paramètres essentiels.

– “Ok, ça tient la route, je peux admettre que c’est pertinent d’être au moins un peu utilitariste, mais après, de là à dire que le critère souffrance/bonheur est le seul critère à prendre en compte, ça peut paraître un peu excessif. Y a quand même d’autres choses importantes dans la vie, est-ce que tu voudrais vraiment sacrifier la science, la liberté, la connaissance, les arts aussi, tout ça pour plus de bonheur ?”

Il y a effectivement des choses qui peuvent nous sembler plus importantes, mais on peut se demander pourquoi on leur accorde de l’importance. Moi aussi, dans un dilemme, je n’aurais pas envie de faire une croix sur l’art, ou la science, mais n’est-ce pas parce que ces choses nous plaisent ? qu’elles nous procurent un certain plaisir ? ou que ça nous plaît de leur accorder de l’importance ? Mais en fin de compte, je ne pense pas que ces choses aient une valeur intrinsèque, je pense qu’elles n’ont un intérêt qu’à travers le bonheur qu’elles permettent d’obtenir ou les souffrances qu’elles permettent d’éviter.

Et il nous est peut-être coûteux d’admettre qu’elles n’ont pas de valeur intrinsèque en dehors de l’impact qu’elles peuvent avoir sur les individus sentients.

Bon, un exemple pour illustrer ça : Si on se demande quel intérêt ont des ordinateurs à stocker beaucoup d’informations et à savoir faire des calculs complexes… eh bien aucun, car ils ne sont pas sentients, ils ne tirent aucun bénéfice personnel de ces choses-là.

Alors que nous on peut en tirer des bénéfices, par exemple le fait d’avoir des connaissances et une méthode scientifique, ça peut nous apporter directement du plaisir à apprendre et découvrir des choses, et indirectement nous permettre de construire une société qui sera plus à même d’aider les individus à réduire leurs souffrances, par exemple avec la médecine, ou… en construisant un modèle politique utilitariste qui mettrait tout en œuvre pour que les individus puissent être heureux.

Parce que bon, pour sortir de l’expérience de pensée et revenir au contexte réel, je pense que le progrès de la science et de la connaissance est quand même essentiel pour se diriger vers une société utilitariste.

Et c’est pareil pour la liberté, elle n’a pas de valeur en elle-même, mais donner aux individus la possibilité de choisir des choses dans leur vie participera à leur épanouissement et de fait à leur bonheur, parce qu’on aime avoir le sentiment de liberté.

– “Ok, donc on accorde de l’importance aux choses uniquement parce qu’elles influent sur nos joies et nos souffrances… Mais là ça montre un autre problème avec l’utilitarisme, puisqu’on réduit tout au bonheur et la souffrance, on n’accorde plus de valeur fondamentale, donc tant qu’on va dans le sens de plus de plaisir, moins de souffrances, on peut négliger sans problème tous les droits fondamentaux, y a pas de droit à la vie, pas de droit à l’intégrité, à la liberté ou à la dignité…”

Attends, tu passes de soutenir que chacun·e à une morale personnelle, à défendre les droits fondamentaux ?

– “C’est pas facile d’être le personnage qui pose les questions…”

Avant de répondre à la question des droits fondamentaux, je précise qu’il ne faudrait pas faire de raisonnement motivé, c’est-à-dire chercher un raisonnement qui arriverait à une conclusion qu’on aurait déjà fixée dès le départ. Donc pour ce qui est des droits fondamentaux, c’est en fonction de la pertinence des arguments qu’on doit conclure si oui ou non on doit leur accorder de l’importance. Mais on ne peut pas rejeter un raisonnement sous prétexte que la conclusion nous déplaît.

DROITS FONDAMENTAUX ?

Bon, est-ce que l’utilitarisme s’oppose aux droits fondamentaux ? Et bien oui et non…
Il ne s’y oppose pas forcément dans le sens ou accorder ce genre de droits aux individus peut servir le bien être général.

Mais ces droits fondamentaux ont-ils une valeur intrinsèque ? Pour dire qu’ils ont une valeur en eux-mêmes, du genre la sacralité de la vie ou un droit de propriété inaliénable, il faudrait le justifier, et à ma connaissance il n’y a aucun argument solide pour soutenir ça…

Mais on peut tout à fait défendre ces droits en les justifiant par leurs conséquences sur les individus. Et moi-même, je suis tout à fait pour l’existence des droits fondamentaux, seulement, j’estime qu’ils n’ont pas d’intérêt en eux-mêmes, mais qu’ils ont un intérêt indirect qui sert un but utilitariste. Je pense par exemple que pas grand monde ne voudrait vivre dans une société ou notre droit à la vie n’est pas garanti, ce droit-là me paraît essentiel dans une société qui cherche le bonheur des individus.

– “Pourtant dans les dilemmes moraux comme le dilemme du tramway, le choix utilitariste c’est bien celui qui n’hésite pas à sacrifier des vies au nom du bonheur général.”

Alors les dilemmes moraux… vous en connaissez sûrement, on vous propose des dilemmes tels que « tuer une personne pour en sauver 5 ».

Et ces expériences de pensées font que pas mal de gens en arrivent à se dire plutôt utilitariste, mais pas trop non plus, qu’il faut garder un minimum de règles déontologiques telles que « ne pas tuer ». 

Et… ces dilemmes, ça va être le sujet de la prochaine vidéo, parce qu’il y a quand même pas mal de choses à en dire.

– “Attends t’es en train de faire une vidéo ou tu défends l’utilitarisme, mais tu ne vas pas répondre aux principales critiques de l’utilitarisme”

Alors, en quelque sorte, oui… mais en fait, l’objet de cette vidéo c’est surtout d’expliquer l’importance d’utiliser la variable des ressentis positif et négatif pour établir un système moral, et de se baser là-dessus pour conceptualiser ce que pourrait être un monde meilleur, et donc vers où il serait bon d’aller en tant que société. Donc oui on reparlera d’utilitarisme dans la vidéo suivante.

Et je vous invite à aller voir le travail des personnes qui m’ont beaucoup influencé sur ce sujet, qui m’ont fait changer d’avis et qui sont à l’origine de plusieurs arguments que j’ai donnés ici. Donc merci à Réplique éthique, vous pouvez aller voir son site où il y a des articles super intéressants avec de beaux diagrammes. Et merci aussi au super prof de philo Cédric Stolz, qui n’a pas de site perso, mais qui a des livres, des conférences et des articles, liens en description.

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Source et liens :

La première vidéo (lien vers le script), qui défendait le sentientisme :
https://mangayoh.fr/2021/12/07/quel-critere-pour-discriminer-la-sentience/

Le conséquentialisme | Monsieur Phi :
https://www.youtube.com/watch?v=3hCffvguLTQ

L’utilitariste de paille | Vlanx :
https://www.youtube.com/watch?v=3SRMl8sieyM

L’utilitarisme | Philoxime :
https://www.youtube.com/watch?v=CG8yN4A4fuM

Qu’est-ce que l’utilitarisme | Parle-Moi de Philo :
https://www.youtube.com/watch?v=zrDmiFu85r0

Les expériences de pensées utilitaristes de Monsieur Phi et Lê :
https://www.youtube.com/watch?v=AZBDMN5wZ-8

Série de vidéo sur le raisonnement motivé | Vlanx :
https://www.youtube.com/watch?v=C2ZWFbGdcEc&list=PLGjP1WURTJY4pGrpXf5Cgznh_YwLasRmD

Bentham, J. (1780) : An Introduction to the Principles of Morals and Legislation.
Lecture en ligne ici : https://en.wikisource.org/wiki/An_Introduction_to_the_Principles_of_Morals_and_Legislation
Page wiki de l’utilitarisme : https://fr.wikipedia.org/wiki/Utilitarisme
Conséquentialisme : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cons%C3%A9quentialisme
Déontologisme : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89thique_d%C3%A9ontologique

Le site de Réplique Éthique :
https://replique-ethique.fr/
Ses chroniques sur Nonbi-Radio :
https://www.nonbi.fr/chroniques/c/3
Sa page facebook :
https://www.facebook.com/repliqueethique/
Sa chaîne youtube :
https://www.youtube.com/channel/UCUBI8R3LyxRlELG1dbgOMqw/videos

Livres et conférences de Cédric Stolz :
Des animaux sur la Terre : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=59256&razSqlClone=1
De l’humanisme à l’antispécisme : https://www.lalibrairie.com/livres/de-l-humanisme-a-l-antispecisme–le-xxie-siecle-est-celui-des-animaux_0-6346633_9782363923486.html
Le respect de la nature nuit aux animaux | Conférence avec PEA (Pour l’Égalité Animale)
https://www.youtube.com/watch?v=TvUZiLEycFk
Quelle morale et quel projet politique pour les animaux ?
https://www.youtube.com/watch?v=h0crgKuZEEw

Écriture : Yohann Hoarau
Montage : Nicolas B