Cet article reprend le texte de la vidéo que vous pouvez trouver sur Youtube et Peertube.

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Dans la précédente vidéo, on s’est demandé si la morale était objective ou pas, et on a vu que la réponse à cette question n’était pas évidente, puisque le champ de recherche dans lequel elle s’inscrit : la méta-éthique, est sacrément complexe.

Et comme je l’ai dit à la fin de la vidéo, mon double a fait pas mal de simplification tout au long de la vidéo, il a fait un amalgame entre subjectivisme et anti-réalisme, et entre objectivisme et réalisme. Bon en même temps la nuance n’est pas évidente, d’autant plus quand on découvre le sujet. Mais en fait il existe de nombreuses positions subjectivistes et objectivistes, et parmi elles il y a des positions morales réalistes comme des anti-réalistes.

Ça veut dire qu’il y a par exemple des positions qui soutiennent qu’il existe des faits moraux… mais qui seraient subjectifs. Et là c’est très contre intuitif, et de fait, pas facile à saisir. Mais on va éclaircir tout ça ici.

Alors pour que ce soit clair, on va reprendre les différentes questions de la méta-éthique et faire un diagramme, mais ce n’est pas la seule catégorisation possible, et on peut trouver des tableaux différents de celui qu’on va présenter.

QU’EST-CE QUE LA MORALE ? UNE ATTITUDE ? UNE CROYANCE SUBJECTIVE ? OBJECTIVE ?

Tout d’abord, (question psychologique) on peut se demander « quels types d’états mentaux sont les jugements moraux ? ». Oui, on ne commence pas par la question la plus simple.

Est-ce que les jugements moraux expriment des croyances, qui renvoient donc à des faits, et qui peuvent être vrais ou faux ?

Ou est-ce qu’ils expriment des attitudes d’approbation ou désapprobation ? Genre “la torture est mal” signifie “je désapprouve la torture”. Si les jugements moraux expriment des croyances, c’est la thèse du cognitivisme moral, et s’ils expriment des attitudes, c’est le non-cognitivisme.

Quand on est cognitiviste, on pense que les jugements moraux sont des croyances, qui ont donc valeur de vérité, c’est-à-dire qu’elles renvoient à des faits pouvant être vrais ou faux (Correction en commentaire). Contrairement à une désapprobation, à une préférence ou le fait d’être “pour ou contre quelque chose”.

Ici on se demande donc si les énoncés moraux prétendent pouvoir être vrais ou faux, ou s’ils n’expriment qu’une préférence personnelle. Et cette question se pose quelle que soit la réalité des faits moraux. Que les gens aient tort ou raison n’a pas d’importance. Ici, on ne cherche pas à savoir si les faits moraux existent, mais si les jugements moraux expriment des faits (Correction comme), et sont donc des croyances – ce que défend le cognitivisme moral-, ou s’ils expriment des préférences ou des états d’approbations ou de désapprobation, – ce que défends le non-cognitivisme-.

Pour les émotivistes par exemple, un jugement moral est l’expression de nos émotions et/ou de nos attitudes. Ce qui est « mal » renvoie à une émotion négative associée à une attitude de désapprobation, et ce qui est « bien » renvoie à une émotion positive associée à une attitude d’approbation ou d’adhésion.

Et on a d’autres conceptions ou les jugements moraux expriment d’autres attitudes de la personne qui les donnent, comme des approbations, des émotions ou des désirs.

Si vous n’avez pas bien saisi cette nuance, rien de très grave, ce n’est pas une question centrale dans la méta-éthique, et la position non-cognitiviste est aujourd’hui assez minoritaire.

Maintenant pour continuer notre diagramme, on va partir d’un postulat cognitiviste, déjà parce que c’est la position majoritaire, mais aussi parce que du côté non-cognitiviste, on a bien quelques sous positions, mais on n’a pas autant de nuance. Et les positions non-cognitivistes sont presque toutes anti-réalistes là où les positions cognitivistes sont plus divergentes là-dessus.

La question du réalisme et de l’anti-réalisme (question ontologique), c’est celle qui renvoie à l’existence des faits moraux et de leur nature, la position réaliste étant la position qui soutient l’existence de ces faits, et l’anti-réalisme leur inexistence. C’est ce qu’on a vu dans la précédente vidéo.

Si on part sur un postulat cognitiviste, et qu’on pense que les jugements moraux sont des croyances (question sémantique), on se demande ce que prétendent décrire ces croyances ? Puisqu’une croyance est relative à des faits. Est-ce que ces croyances prétendent décrire des faits subjectifs ou alors des faits objectifs ?

Là il se peut que vous ayez du mal à comprendre en quoi un fait peut être subjectif, d’où l’amalgame que mon double a fait dans la première partie.

Un exemple qu’on peut prendre pour expliquer ce que peut être un fait subjectif, c’est le prix. Le prix au kg d’un produit, il est relatif à un certain contexte économique, il n’est pas vrai objectivement, indépendamment de la société. Pourtant si vous dites que le kg de baboules est à 10 centimes, ce sera faux, et vous aurez tort. Et n’essayez pas de passer ça en caisse sous prétexte que le prix n’est pas un fait objectif.

Alors si vous vous demandez, les baboules, c’est un terme que je m’efforce à répandre, fallait bien que j’en parle en vidéo un jour, donc si vous dites baboules à la place de pommes noisette, ça me fera très plaisir.

Bon, revenons à la morale, dans le subjectivisme, il y a pas mal de positions différentes :

On va commencer par le relativisme du locuteur.

Ici les jugements moraux prétendent décrire des états mentaux relatifs à l’approbation de la personne qui les énonce. Mais contrairement à des positions non-cognitiviste comme l’expressivisme qui dit que les jugements moraux expriment des états d’approbation ou de désapprobation, le subjectivisme dit que les jugements moraux prétendent représenter des faits, mais des faits relatifs aux états psychologiques de la personne qui les énonce.

Ici, si je dis “X est mal”, ma phrase sera vraie, et elle le sera tant que je désapprouverai effectivement X. Ici, ça veut dire que si je dis “X est bien” et qu’une autre personne dit “X est mal”, on veut tous deux énoncer un fait, qui prétend être vraie (Correction), et on a tous les deux raisons malgré qu’on ait dit deux choses différentes.

C’est assez contre-intuitif parce que cela implique qu’il n’y a pas de véritables désaccords en matière éthique, juste des désaccords apparents. Alors qu’on considère généralement qu’il existe de véritables désaccords sur les questions morales.

Toujours dans les thèses subjectivistes, on a le relativisme culturel qui suppose que les jugements moraux sont des croyances qui représentent l’opinion majoritaire dans une communauté. X est mal pourrait signifier “ma communauté désapprouve X”. Il pourrait donc être faux de dire que X est bien dans mon pays, mais il serait vrai de le dire dans un autre aux valeurs différentes.

Ça c’était des thèses qu’on appelle subjectivistes relatives, puisqu’elles sont relatives à une personne ou à un contexte. Mais on a aussi des positions subjectivistes absolues.

Par exemple le subjectivisme du spectateur impartial, ou les jugements moraux renvoient à l’état d’approbation qu’aurait un spectateur impartial. Par exemple, « l’esclavage est immoral » signifierait qu’un spectateur rationnel, neutre et correctement informé désapprouverait l’esclavage.

 Et idem pour le subjectivisme du commandement divin qui renvoie aux états subjectifs d’approbations qu’auraient Dieu.

À l’inverse des positions subjectivistes, on a les positions objectivistes, qui prétendent décrire des faits objectifs, indépendamment de ce qu’on en pense.

– Ici on peut encore distinguer plusieurs positions, on peut distinguer l’objectivisme naturaliste de l’objectivisme non-naturaliste.

Le naturalisme prétend décrire des faits pouvant être étudiés empiriquement par des sciences comme la psychologie ou la biologie par exemple. À l’inverse, le non-naturaliste prétend décrire des faits qui ne peuvent pas être étudiés empiriquement.
Tout comme on pourrait considérer que les mathématiques (si on est réaliste des mathématiques évidemment) sont des faits qui existent indépendamment de nos esprits, mais qui sont non-observables et avec lesquelles on ne peut pas interagir.

Et là encore on a des sous positions. Dans le naturalisme, on a le naturalisme analytique ou réductionniste : qui suppose que les jugements moraux représentent des propriétés objectives identiques à des faits naturels, genre la souffrance. Ce qui est mal équivaudrait à l’augmentation de la souffrance, donc : “torturer est mal” signifierait “torturer cause la souffrance”.

Et à ça, on peut opposer le naturalisme non réductionniste : qui suppose que les jugements moraux sont des croyances qui prétendent représenter des propriétés objectives naturelles mais non identiques à des propriétés naturelles. Bon dit comme ça c’est pas très clair. Mais en gros c’est comme les faits sociaux (qu’on peut étudier en sociologie ou psychologie), qui sont des faits objectifs existants indépendamment de nous, mais qui ne sont pas réductibles à des faits physiques.

Et y a encore tout un tas d’autres positions que je ne vais pas détailler, en même temps je suis moi-même loin de toutes les connaître et encore plus loin d’avoir saisi toutes les nuances. La méta-éthique, c’est un sujet complexe. Cette vidéo est une introduction et n’est clairement pas exhaustive. Bon une vidéo qui est rentré pas mal dans le détail pour une introduction, mais une introduction quand même.

Je vais détailler juste une dernière position qui pourra illustrer une position objectiviste mais anti-réaliste, c’est la théorie de l’erreur.

LA THÉORIE DE L’ERREUR :

Qu’est-ce que ça veut dire une position qui serait objectiviste mais anti-réaliste ?

Ça veut dire que les jugements moraux prétendent décrire des faits objectifs et indépendamment de nous, mais que les faits moraux n’existent pas. Donc : tout le monde se trompe.

Pour illustrer ça, si je vous demande par exemple « quelle est la couleur des licornes », la réponse sera bien objective, on pourra débattre de quelle est là couleur des licornes, et si on se trompe, on aura tort, il serait faux de dire “les licornes sont rouges”, ce n’est pas une histoire de préférence. Sauf que si les licornes n’existent pas, eh ben lorsqu’on débat de leur couleur, on prétend bien énoncer des faits, mais qui sont tous faux, puisque on peut pas avoir raison sur la couleur d’un truc qui n’existe pas.

Donc selon la théorie de l’erreur morale : Les jugements moraux ont valeur de vérité, mais il n’y a pas de faits moraux. Donc, les jugements moraux sont tous faux, d’où le nom de cette théorie.

Notons qu’on peut faire le même raisonnement avec les autres questions « méta ». Donc par exemple, dans la méta-esthétique, on va se demander s’il existe un beau objectif, ou certaine forme d’art serait objectivement meilleur que d’autres. Et donc être réaliste ou anti-réaliste du beau.

Et tout comme dans la méta-éthique, on peut se demander si les jugements de valeur sur l’art ou la beauté, comme « ce film est bien » ont valeur de vérité et s’ils prétendent décrire des faits objectifs.

Si on est non-cognitiviste ou subjectiviste, et qu’on considère qu’ils n’ont pas valeur de vérité, « ce film est bien » pourra signifier « j’aime ce film ». Mais si on est objectiviste, on pourra considérer que les énoncés relatifs à l’art ou la beauté ont valeur de vérité, et qu’un « ce film est bien » prétend que le film est objectivement mieux que les autres.

Et ce raisonnement est transposable à d’autres domaines que la méta-éthique et la méta-esthétique, d’où le fait que des termes comme réalisme soient énormément utilisés en philosophie.

Et pour la prochaine vidéo, gros teasing, parce qu’on va encore parler de méta-éthique, mais cette fois on va le faire avec des gens bien plus calés que moi puisque je vais directement donner la parole à des philosophes calés en éthique et méta-éthique.

En attendant, si le sujet de la méta-éthique vous intéresse, mais que vous n’avez pas tout bien saisi, je vous encourage à revisionner la vidéo, et/ou à aller lire les articles que je mettrais en description. Il y a par exemple de très bons articles sur le site de l’Université de Stanford.

Et si vous voulez des bouquins, je vous conseille le livre “qui-peut sauver la morale” de François Jaquet et Hichem Naar (le plan de ces deux vidéos est d’ailleurs similaire à celui de ce livre).
Pour des trucs plus courts, vous pouvez aller voir les threads twitter de Cédric Stolz. C’est un prof de philo qui fait régulièrement des threads très clair sur l’éthique, et plus largement la philo, voire la sociologie ou la psychologie.

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Sources et liens :

Script de la précédente vidéo

Thread de Cédric Stolz sur la méta-éthique :
De quoi parlez-vous lorsque vous dites que quelque chose est moralement inacceptable ? (avec un superbe schéma) : https://twitter.com/CedricStolz/status/1636417556155363330/photo/1

Pourquoi le relativisme moral est faux : https://twitter.com/CedricStolz/status/1589229643105984515?fbclid=IwAR2BJpkR5XYk2jtlAjzM-5itx80ZK6L-qPO6MZMsnoBBuYL_FL5I-NLxIbQ

Livres :
Qui peut sauver la morale, par François Jaquet et Hichem Naar :
https://www.babelio.com/livres/Jaquet-Qui-peut-sauver-la-morale-/1339669#

Manuel de métaéthique, par Ophélie Desmons, Stéphane Lemaire et Patrick Turmel :
https://www.editions-hermann.fr/livre/manuel-de-metaethique-desmons-ophelie

Méta-éthique et philosophie normative : deux approches (Ophélie Desmons et Jocelyn Maclure, 2020) : https://www.erudit.org/fr/revues/ateliers/2019-v14-n1-ateliers05339/1069953ar/

Page wiki :

Méta-éthique :
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9ta-%C3%A9thique
Naturalisme vs non-naturalisme. Réductionnisme vs non-réductionnisme :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Naturalisme_moral
Expressivisme :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Expressivisme

Article détaillé sur Stanford University :
https://plato.stanford.edu/entries/moral-realism/
https://plato.stanford.edu/entries/moral-anti-realism/
https://plato.stanford.edu/entries/naturalism-moral/
https://plato.stanford.edu/entries/moral-cognitivism/
https://plato.stanford.edu/entries/constructivism-metaethics/
https://plato.stanford.edu/entries/moral-relativism/
https://plato.stanford.edu/entries/facts/

Sentimentalisme (encyclophilo) : https://encyclo-philo.fr/sentimentalisme-a#:~:text=Le%20sentimentalisme%20d%C3%A9signe%20l%27approche,les%20jugements%20moraux%20et%20esth%C3%A9tiques

Enquête sur la position des philosophes sur divers sujet (dont la méta-éthique) : https://philpapers.org/surveys/results.pl
En sélectionnant “auprès des philosophes de la méta-éthique” :
Sur les faits moraux, on retrouve 55,9% qui penchent pour le réalisme, 26,5% qui penchent pour l’anti-réalisme et 17,6% qui pour “autre”.
Sur le cognitivisme/non cognitivisme (est-ce que les jugements moraux prétendent décrirent des faits) : 74,5% penchent vers le cognitivisme, 13,7% vers le non-cognitivisme, et 11,8% vers “autre”.

Écriture : Yohann Hoarau
Montage vidéo : Thomas Martzolf
Merci à Cédric Stolz et Antonin Broi pour la relecture !