Cet article reprend le texte de la vidéo que vous pouvez trouver sur Youtube et Peertube.
Le lien vers la chaîne :
Peertube : https://tube.kher.nl/c/mangayoh_channel/videos?s=1
Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCImVxjIl3rIEoQIqeDIvKfA/videos
[Lors de la vidéo sur le genre, il nous avait été demandé si Lyla produisait du contenu, et bien c’est désormais le cas puisqu’elle bient de lancer un compte instagram (@raie.futée) qui partagera plein de réflexions super intéressantes, sur les luttes sociales, les méthodologies scientifiques, etc. (c’est vraiment excellent, abonnez-vous !)].
[On va utiliser les termes hommes et femmes pour désigner à la fois les groupes politiques, c’est-à-dire la façon dont les gens sont perçus et socialisés et les corps biologiques, en faisant l’amalgame entre homme et pénis et femme et vulve. On regrette de faire ce raccourci, mais l’analyse qu’on fait ici n’est valable que dans ce cadre. Les sexualités en dehors de cette binarité ont des dynamiques spécifiques qui mériteraient une vidéo à part entière]
Salut, bienvenue dans cette troisième vidéo de la série sur le sexisme. Dans les deux premières, on a parlé de genre et d’aphrodisme. Si vous ne les avez pas déjà vues, on vous encourage à le faire, mais elles ne sont pas indispensables pour comprendre cette vidéo, qui va parler de sexualité.
Dans la société, on parle de sexe surtout au travers de blagues, d’anecdotes, mais plus rarement de manière sérieuse ou éducative. La sexualité est souvent pensée comme une problématique individuelle, et c’est un sujet très peu discuté sous l’angle politique.
Pourtant, on a intériorisé une certaine vision de la sexualité qui correspond à des normes sociales. Elle nourrit pas mal de nos comportements, dont certains qui sont problématiques. Du coup, si on veut avoir des relations saines, il peut être bon de questionner nos schémas, et surtout d’être prêt à les remettre en question. Et on peut commencer par remettre en question les fausses idées qu’on a sur le sujet, notamment sur les violences sexuelles.
LES MYTHES SUR LE VIOL
La plupart des gens sont d’accord pour dire que les agressions sexuelles, c’est problématique. Pourtant, notre société est très paradoxale, et tout en prétendant condamner ces pratiques, elle les banalise, voire les encourage.
On a bien souvent des représentations erronées de ce qu’est une agression sexuelle, et notamment le viol. Dans nos représentations mentales, on a une attaque pendant la nuit dans une ruelle sombre ou un parking souterrain, par un mec fou ou “psychopathe” (on reviendra sur le problème à utiliser ce terme dans une vidéo sur la psychophobie), et potentiellement armé.
Le problème de cette représentation, qui en fait ne concerne qu’une minorité des cas, c’est qu’elle invisibilise tous les autres scenarios de viol, dans un lieu privé, sans contrainte physique, et par des gens qu’on connaît, notamment les conjoints. Et par des personnes bien intégrées à la société, donc pas des gens “marginaux” ou “bizarres”.
Ce genre de mauvaises représentations font partie de ce qu’on appelle les mythes sur le viol. En les intégrant, on va davantage dénoncer et condamner les violences qui se rapprochent du « vrai viol ». Mais lorsque l’agression s’éloigne de ce cliché, elle n’est plus considérée comme une vraie agression, et donc la victime n’est plus vraiment victime. On remet en question son discours, et les violences subies sont minimisées et banalisées.
Et les victimes elles-mêmes ont intégré ces mythes, avec le stéréotype du “vrai viol” et de la “vraie victime”. Elles peuvent en venir à penser qu’elles n’ont pas vraiment subi une agression, et se sentir moins légitimes à en parler et à porter plainte.
Et une autre conséquence de tout ça, c’est que les victimes peuvent en venir à se sentir responsables de ce qui leur est arrivé. Si l’autre n’est pas un agresseur, et qu’on a rien à lui reprocher, c’est bien que le problème vient de nous, non ? De fait, ça peut engendrer pas mal de culpabilité chez ces personnes.
Pour continuer sur le mythe de la “vraie victime”, on a la croyance qu’elle se débat forcément. En réalité, il est fréquent que les personnes concernées soient dans un état de sidération, paralysées, et ça s’explique bien psychologiquement. Et on les fait ensuite culpabiliser en leur disant qu’elles auraient dû se débattre…
Et d’ailleurs, un “vrai viol”, dans l’imaginaire collectif, c’est quelque chose de violent et forcément traumatique, alors si la personne ne montre pas assez de mal-être, là encore, on aura tendance à remettre en cause son discours.
Le problème de ces images erronées, en plus de disqualifier la parole des victimes, est que ça nous empêche de voir qui sont les agresseurs. Le fait de s’imaginer que ce sont des fous ou des psychopathes, ça a pour conséquence de catégoriser les agresseurs comme des gens avec des gros soucis mentaux, alors que non, beaucoup d’hommes tout à fait ordinaires ont intériorisés des comportements problématiques, et c’est bien là le fond du problème. Et inversement, toutes les personnes avec des troubles psy ne sont pas des agresseurs, et cette idée contribue à les stigmatiser.
La catégorisation psychopathologique des agresseurs fait qu’on a du mal à considérer que pas mal de gens de notre entourage – voire nous-mêmes – peuvent avoir été agresseurs : on a tendance à les protéger parce que : “on les connait, c’est des gens biens, ils ne feraient jamais ça, etc”. Les agresseurs, ce sont “les autres”.
Et par les autres, on peut aussi retrouver un peu de racisme puisque les autres, c’est quand même souvent des étrangers. Alors que non, les agresseurs il y en a dans tous les milieux sociaux, même chez les blancs bien intégrés dans la société. Même des ministres.
Et c’est pas étonnant qu’on en trouve chez les gens des classes sociales privilégiées, puisque c’est eux qui capitalisent le pouvoir, et ce pouvoir leur permet de plus facilement agresser, et surtout de le faire en toute impunité.Et ce qui fait surtout qu’on trouve des agresseurs dans toutes les sphères de la société, c’est qu’on grandit dans un contexte où on intériorise certains schémas qui nous font voir les agressions comme acceptables. D’une part en minimisant la gravité des agressions qui ne correspondent pas au mythe du vrai viol, mais aussi parce qu’on vit dans une culture où on fait la promotion des agressions, au travers de différents discours, sous entendus, etc. on banalise, on romance, et on encourage les agressions sexuelles, c’est ce qu’on appelle la culture du viol.
LA CULTURE DU VIOL
La culture du viol, ça ne désigne pas l’idée qui serait « le viol, c’est génial », y a heureusement pas grand monde pour dire ça. La culture du viol, ça désigne des mécanismes culturels et sociaux qui normalisent les violences sexuelles, en les faisant passer pour autre chose que des agressions, et qui nous amène donc à les tolérer, voire à encourager les agresseurs à persister pour avoir ce qu’ils veulent. On va montrer comme romantique le fait qu’un homme ne baisse pas les bras, qu’il insiste jusqu’à ce qu’une femme cède à ses charmes, ou plutôt à son acharnement…
Cette vision romancée des agressions se retrouve dans nombre d’oeuvres culturelles qui mettent en scène un homme qui persiste à tenter d’embrasser une femme malgré ses rejets, mais celle-ci finit bien souvent par céder et finalement aimer ça.
Et cette culture du viol est particulièrement insidieuse : sa rhétorique est banalisée, perçue comme “une blague”. Du coup, on l’intériorise, et ça a des conséquences réelles : des gens en viennent à considérer que “beaucoup de femmes disent non alors qu’elles veulent en fait dire oui”, ou que “si la victime a eu une attitude provocante, ça atténue la responsabilité de l’agresseur”.
Et d’ailleurs, le blâme des victimes est un très bon outil pour maintenir les inégalités et les injustices. Comme on l’a vu dans la vidéo sur le déterminisme, on a tendance à considérer que les gens méritent ce qui leur arrive, on va chercher des explications dans leur comportement davantage que dans le contexte social. On va par exemple questionner les habits que la victime portait au moment de son agression, ou son attitude. Est-ce qu’elle n’était pas trop aguicheuse ? Peut-être qu’elle l’avait un peu cherché ?…
Mais premièrement, en aucun cas ça ne justifie une agression, et deuxièmement, ce genre de raisonnement est vite démenti par la réalité, où les victimes ne sont pas habillées d’une manière particulière lorsqu’elles sont agressées.
Cet aspect de la culture du viol a alors un fort lien avec l’aphrodisme, (Aphrodisme : discrimination sur les critères esthétique), puisque si la victime est belle : c’est normal que les hommes veuillent d’elle, on peut pas leur reprocher ça. Et à l’inverse, si elle est perçue comme laide, soit on nie l’agression, puisque c’est impossible que quelqu’un ait voulu d’elle, soit on justifie l’agression en disant qu’elle a quand même de la chance que quelqu’un s’intéresse à elle, et qu’elle devrait même se sentir flattée.
Mais dans les faits, le problème est davantage imputable à un conditionnement et un contexte social qui encouragent les agressions, notamment avec un manque de connaissance et de considération du consentement.
VERS UNE CULTURE DU CONSENTEMENT
Le consentement est un état d’approbation pour faire certaines choses. On dit qu’on “obtient le consentement de quelqu’un·e” quand la personne concernée traduit cet état d’approbation en un accord explicite.
Le tout, évidemment, sans pression quelconque et avec une conscience des enjeux de la décision. Et on peut ajouter que faire du chantage, bouder, faire des caprices, être énervé·e parce que notre partenaire n’a pas envie, le ou la faire culpabiliser jusqu’à ce qu’elle cède, c’est une forme de pression, qui ne peut donc pas aboutir à un réel consentement.
De plus, si on obtient le consentement d’autrui, il est important de se rappeler que celui-ci est temporaire, à la fois à court terme – il est par exemple possible de s’arrêter en plein milieu d’un rapport, quelle qu’en soit la raison -, et à long terme – ce n’est pas parce qu’une personne a systématiquement pratiqué un certain acte qu’elle consent à continuer à le faire à nouveau.
Si on veut le bien-être des autres personnes, assurons-nous de leur consentement avant de faire des choses qu’elles pourraient regretter.
[ci-dessous la fiche consentement du projet méduses]
Plus largement, le non-respect du consentement est un point commun à toutes les oppressions. On retrouve le même schéma, où un groupe en position dominante va tirer profit des membres du groupe dominé en négligeant leur consentement.
Pour en revenir au sujet de cette vidéo, on fait souvent des recommandations aux femmes pour éviter d’être agressées, mais trop rarement aux hommes pour leur dire de ne pas agresser, comme si l’agression était la conséquence du comportement inadapté de la victime, et non un comportement problématique de l’agresseur. Il faut donc éduquer chaque individu à la prise en compte du consentement pour développer collectivement une culture du consentement (en opposition à la culture du viol).
Cette culture du consentement ne se résume pas à respecter un “oui” ou un “non”, elle vise à encourager et à valoriser le fait d’avoir des limites, de les exprimer et de les respecter. Elle vise à banaliser le fait de demander le consentement de l’autre, de créer un contexte rassurant, de se laisser le temps de la réflexion, et de permettre aux partenaires d’exprimer leurs envies ou limites sans qu’ils et elles se sentent jugées, coupables ou forcées.
De fait, l’accord explicite est nécessaire, mais il n’est pas suffisant. On doit tout faire pour s’assurer que cet accord découle bien d’un état d’approbation de la personne qui le donne.
D’autant plus qu’il y a des éléments qui peuvent rendre difficile le fait de refuser certaines pratiques. Les normes sociales, les attentes – supposées ou non – de notre partenaire et la peur de décevoir, nos pratiques passées, nos habitudes, l’injonction au sexe,… sont tout autant de paramètres qui peuvent nous amener à dépasser nos limites. C’est pourquoi il est crucial de demander le consentement, sans se contenter d’attendre que l’autre ose exprimer ses limites. Autrement dit, il ne faut pas attendre un “non” pour ne pas faire mais s’assurer d’un “oui” pour faire, d’autant plus si on est dans une position dominante.
Quand on est un homme, en position de supériorité hiérarchique, et/ou qu’on est plus âgé·e que l’autre, on se retrouve dans une relation asymétrique qui peut pousser la personne à accepter des choses dont elle n’a pas envie.
Lorsqu’on est dans ce genre de dynamique, il est alors important de s’assurer qu’elle n’agit pas par sentiment d’obligation, et donc de mettre en place un cadre propice à l’expression du refus. C’est-à-dire un cadre où la personne n’a strictement aucune crainte à refuser, où elle n’a pas peur des réactions de l’autre, qu’il se vexe, boude, la fasse culpabiliser – même sur le ton de la blague – ou nuise à sa réputation.
Comme on l’a dit, ce sentiment d’obligation peut venir des normes et des conventions sociales, notamment des schémas implicites, qui nous poussent à nous conformer à certaines pratiques sans les remettre en question. On doit être d’autant plus vigilant et on est d’autant plus responsable lorsque la personne est dans une situation où elle risque d’accepter des choses qu’elle ne voudrait pas. C’est notamment le cas de la sexualité dans le couple, qui est souvent vue comme un dû, ou de la pénétration vaginale qui est encore vue aujourd’hui comme l’acte indispensable d’un rapport sexuel.
PÉNÉTROCENTRISME
Dans l’imaginaire collectif, la pénétration est un élément central de la sexualité. Pour parler des autres pratiques sexuelles, on utilise le terme de “préliminaires” (étymologiquement : “qui prépare l’objet principal”), qui sont vus comme les trucs qu’on fait avant la pénétration, avant de “vraiment” coucher ensemble.
Cette sacralisation de la pénétration se retrouve aussi dans le concept de virginité. Dans la définition généralement utilisée, on “perd” sa virginité au moment où on fait l’amour pour la première fois, sous-entendu au moment où on pratique la pénétration pour la première fois. Les autres pratiques, ce n’est alors pas vraiment “faire l’amour”.
D’ailleurs, cette conception de la virginité pose la question des couples non hétéro. Par exemple, est-ce que des lesbiennes qui couchent ensemble, sans pratiquer la pénétration par un pénis, restent vierges jusqu’à la fin de leur vie ? On voit vite qu’on est face à un concept bancal.
On parle de pénétrocentrisme pour désigner cet ensemble de normes sociales qui ramènent le rapport sexuel à la pénétration. Et ça va de paire avec le mépris des autres pratiques et des sexualités non-hétéro.
En plus d’avoir des conséquences sur les personnes non-hétéro, cette vision de la sexualité porte aussi préjudice aux personnes hétéro : toutes les femmes n’apprécient pas la pénétration, ou l’aiment juste de façon occasionnelle; pour certaines, c’est même une pratique qui entraîne des douleurs, voire qu’il est impossible de faire (c’est le cas avec le vaginisme, la dyspareunie, etc). De plus, les personnes qui refusent la pénétration – parce qu’elles sont asexuelles, parce qu’elles n’en ont tout simplement pas envie, parce qu’elles ne peuvent pas, etc – sont vues comme bizarres, avec une vie triste. Alors qu’on peut très bien avoir une vie épanouie, qu’on pratique la pénétration, ou pas, et plus largement, qu’on aie des rapports sexuels, ou pas.
En fait, comme toutes les pratiques, la pénétration est plus ou moins appréciée ou détestée par certaines personnes, mais le pénétrocentrisme met une forte pression à accepter et à faire cette pratique, plus que toutes les autres, même quand on n’en a pas envie.
Et ça met aussi la pression quand on a un pénis, avec la fameuse panne, qui est vue comme quelque chose de honteux.
À ce propos, on vous invite à lire le livre de Martin Page, “Au-delà de la pénétration”, qui est court, bien écrit, drôle, et parle avec justesse de sujets difficiles.
Un autre inconvénient de l’injonction à la pénétration est le recours obligatoire à une contraception. Et bien souvent, la charge contraceptive va peser sur les femmes, on considère comme normal que ce soit elles qui prennent cette responsabilité, et les effets secondaires qui vont avec. Sans compter la charge mentale de devoir prendre des rendez-vous médicaux, de se renseigner en amont sur les contraceptifs disponibles, etc. Et même avec des préservatifs externes, qui sont portés par l’homme, c’est souvent les femmes qui doivent faire l’effort d’y penser et de le rappeler à leur partenaire quand elles ne doivent pas carrément insister pour qu’il soit mis.
De manière plus large, on parle de la charge sexuelle qui pèse sur les femmes en couple hétéro, qui va du fait de gérer la contraception du couple à prioriser le plaisir de l’homme, en passant par toutes les normes relatives à la séduction et à l’érotisme, comme le fait de se faire belle, de s’épiler, de maîtriser certaines pratiques, etc.
On peut illustrer cette charge sexuelle par des exemples extrêmes, comme les opérations de chirurgie esthétique, pour resserrer le vagin ou pour avoir une vulve qui rentre davantage dans les standards esthétiques, en se faisant couper les lèvres par exemple (on ne parle pas ici des interventions cliniquement justifiées).
Et là on parle d’actes volontaires – même si ils sont généralement le résultat d’une forte pression sociale – mais on a aussi pas mal d’abus du corps médical.
On peut citer le point du mari, qui consiste à faire un point de suture de plus que nécessaire lors de la couture d’une épisiotomie, dans le but de resserrer l’entrée du vagin – généralement à l’insu de la patiente – pour rendre les rapports plus agréables pour l’homme. Cette mutilation génitale fait partie de ce qu’on appelle les violences gynécologiques et obstétricales.
Ces violences médicales touchent aussi les personnes intersexes qui naissent avec des organes génitaux en dehors de la binarité de sexe, c’est-à-dire qui n’ont pas un vagin ou un pénis standard. Ces personnes sont particulièrement à même de subir des traitements et des chirurgies dites “de réattribution sexuelle”. Autrement dit, on va faire en sorte que leurs organes génitaux correspondent à un pénis ou un vagin “dans les normes”, alors même qu’il n’y a pas de nécessité médicale et que le ou la patiente n’est pas en âge de consentir.
Pour les personnes assignées femmes, notamment, ces opérations consistent à les “rendre pénétrables”, à s’assurer qu’elles puissent avoir un rapport hétérosexuel pénétratif. Ces pratiques sont une conséquence directe du pénétrocentrisme.
LES RÉPERCUSSIONS JURIDIQUES
Et sans surprise, cette vision pénétrocentrée de la sexualité a des conséquences au niveau institutionnel. Dans les violences sexuelles, on retrouve notamment les agressions sexuelles et le viol. Les deux sont caractérisés par un contact à nature sexuelle commis avec violence, contrainte, menace ou surprise (Article 222-22 du code pénal). Mais jusqu’en 2021, la loi disait qu’il s’agissait d’un viol uniquement s’il y avait pénétration, et tout le reste, c’était qualifié d’agression sexuelle.
Et même avec le changement de loi, qui inclut les rapports bucco-génitaux dans les viols, il y a des conséquences absurdes : une masturbation externe, sur le clitoris par exemple, c’est une agression sexuelle, alors que cette même masturbation avec une pénétration avec les doigts, ça devient juridiquement un viol. De la même manière, une masturbation sur un pénis, c’est une agression sexuelle, alors qu’une fellation non désirée, c’est un viol.
Et le problème, c’est que ce n’est pas qu’une question de définition, ça a des répercussions concrètes sur le traitement juridique des affaires.
Les agressions sexuelles sont des délits, qui sont jugés au tribunal correctionnel, et passibles de 5 à 7 ans d’emprisonnement, alors que les viols sont des crimes, jugés en cour d’assises par un jury populaire – c’est-à-dire par des citoyens et des citoyennes tirées au sort -, avec une peine encourue de 15 à 20 ans.
Mais la culture du viol, le mythe du vrai viol et de la vraie victime font que les juré·es, qui baignent dans cette culture, vont remettre en question les viols qui ne correspondent pas à l’imaginaire collectif; c’est-à-dire ceux où la victime avait consommé de l’alcool ou d’autres drogues, où elle ne s’est pas débattue, les viols conjugaux, etc. Dans ce genre de cas, pour qu’il y ait une chance de condamner l’agresseur, on va conseiller aux victimes de déqualifier les viols en agressions sexuelles – en omettant qu’il y a eu pénétration ou contact bucco-génital – pour être envoyées devant le tribunal correctionnel. C’est ce qu’on appelle la correctionnalisation.
Alors que c’est déjà très compliqué de porter plainte, en déqualifiant les faits, on minimise ce que les victimes ont subi. On a aussi des délais bien plus courts pour porter plainte : 20 ans pour les viols, et seulement 6 pour les agressions, et on a des suivis judiciaires erronés.
Et on peut également évoquer le long périple que traversent les victimes qui portent plainte, avec le discours culpabilisant qu’elles peuvent avoir de la part de leurs proches, et l’accueil des gendarmes ou policiers qui vont parfois remettre en cause leurs témoignages, voire ne pas prendre leurs plaintes. Et contrairement aux accusations de mensonges qu’on entend souvent et qui sont en réalité une très petite minorité, la grande majorité des victimes ne portent pas plainte, justement à cause de ces obstacles.
Une autre notion qui a fait pas mal de dégâts, c’est celle de “devoir conjugal”. Le devoir conjugal, c’est cette idée que les marié·es se doivent du sexe, que les rapports sexuels font partie du contrat de mariage.
Historiquement, on a mis un sacré moment à reconnaître le viol conjugal comme une chose possible, et il n’a été reconnu explicitement par la loi qu’en 2006. (avec en plus une formulation douteuse faisant état d’une “présomption de consentement”. Il a fallu attendre 2009 pour l’abolition de ce point et la reconnaissance du lien marital comme une circonstance aggravante).
Mais dans les faits, les viols conjugaux restent peu condamnés. Déjà parce que les preuves sont d’autant plus difficiles à amasser (pour savoir comment préserver les preuves d’une agression ou d’un viol, voir le lien en description), et qu’ils se situent à l’opposé de l’idée du “vrai viol”, mais surtout parce que la justice est elle-même imprégnée de cette idée de devoir conjugal.
Si le terme n’est pas explicitement mentionné dans la loi, l’absence de rapports sexuels dans un couple est quand même considéré comme un motif de divorce légitime et peut mener à des condamnations.
LA SOCIALISATION MASCULINE
Récemment, en 2018, il y a eu un autre changement de loi, qui dit qu’une personne pénétrante peut être victime de viol. Avant ce changement, il fallait soi-même être pénétré·e pour être violé·e.
Ce changement récent témoigne d’un autre stéréotype très ancré : l’idée que les hommes ne peuvent pas être violés, surtout par des femmes. Ce stéréotype est entre autres alimenté par l’idée que les hommes ont toujours envie de sexe. Et quand les hommes intériorisent cette idée, ça peut aussi rendre plus difficile le fait de refuser une relation dont ils n’ont pas envie.
On remarque d’ailleurs que ça se recoupe avec l’aphrodisme : si la violeuse est belle, la violence subie sera d’autant plus minimisée, et la victime pourra même être considérée comme “chanceuse”.
Et ça, ça s’inscrit plus largement dans la façon dont on conçoit la sexualité masculine.
La sexualité des hommes est fortement rattachée à l’idée de pouvoir et de succès : plus un homme a de “conquêtes”, plus il est respecté, notamment par les autres hommes. On va même encourager les hommes et les garçons à multiplier les partenaires, à l’image du “Don Juan” et à ne pas rester puceau. Un terme qui est d’ailleurs utilisé comme une insulte.
Et ça se recoupe avec le pénétrocentrisme, puisque ne plus être puceau, ça passe forcément par la pénétration. Les hommes vont alors être encouragés à “tenter leur chance” jusqu’au bout, quitte à forcer un “oui”.
D’ailleurs, le champ lexical de la sexualité renvoie souvent à l’idée de domination, avec des termes comme “actif/passif”, où la position active, celle de la personne pénétrante, est valorisée. Et des expressions comme “se faire baiser”, “se faire niquer” renvoient à la fois à la sexualité et au fait de se faire avoir, sous-entendant qu’on est dans une position indésirable.
L’injonction à multiplier les « conquêtes » est intériorisée par les hommes, et les conduit à voir les femmes comme des partenaires potentielles avant tout. Les concepts de friendzone et fuckzone résument bien cette problématique.
La friendzone est un terme, souvent employé par les hommes, qui désigne le fait d’avoir été considéré “juste” comme un ami, et de ne pas avoir eu plus. De l’autre côté, on nomme fuckzone le fait que l’autre se désinvestisse de la relation amicale quand on refuse ses avances.
On entend souvent les hommes se plaindre de la friendzone, mais la fuckzone est bien plus violente et humiliante, car c’est une amitié intéressée, qui n’est qu’un moyen d’obtenir la confiance de l’autre pour avoir une relation romantique ou sexuelle. Les femmes fuckzonées réalisent alors qu’elles n’avaient aucune valeur aux yeux du mec en dehors de ce type de relation.
CONCLUSION
Pour conclure, il y a tout un travail de déconstruction à faire, notamment en se détachant des idées fausses sur les violences sexuelles et en remplaçant la culture du viol par une culture du consentement. Savoir écouter un “oui” ou un “non”, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant : il faut créer un contexte propice au refus. Et ça nécessite de se détacher de la sexualité, pour ne plus la voir comme une obligation sociale ou conjugale.
Plus spécifiquement, on gagnerait à changer la façon dont sont socialisés les hommes, notamment en se détachant du pénétrocentrisme et de la vision conquérante de la sexualité. Et les hommes eux-mêmes ont une responsabilité. Il est urgent de se ré-éduquer sur la sexualité, en faisant attention à ne pas avoir de comportements problématiques, et en se responsabilisant par rapport à la contraception et aux IST, mais aussi en intervenant quand d’autres hommes disent ou font des choses néfastes.
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Sources et liens :
Fiche consentement du Projet Méduses (hésitez pas à la partager, à l’imprimer et l’afficher un peu partout).
Les précédentes vidéos citées (lien vers les scripts) :
Sur le genre
Sur l’aphrodisme
Sur le déterminisme
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sexisme#R%C3%A9ification_et_hypersexualisation_des_femmes
Renard Noémie, “En finir avec la culture du viol”, Les Petits Matins, 2018.
Rey-Robert Valérie, “Une culture du viol à la française”, Libertalia, 2019.
Martin Page, “Au-delà de la pénétration”
Vidéos :
Ginger Force | viol et violences conjuguales
Psykocouac | Profil des agresseurs sexuels
Témoignages : Sur les attentes des victimes à aller mal
Sur les mutilations des personnes intersexes | “Dans la tête d’Audrey”, sur La carologie
Stats sondage IPSOS / Mémoire Traumatique :
https://www.ipsos.com/fr-fr/violences-sexuelles-pourquoi-les-stereotypes-persistent https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2019-enquete-ipsos.html
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/campagne2019/2019-Rapport-d-enquete-IPSOS-site.pdf
https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/campagne2019/2019-Resultats-Enquete-Ipsos-Les-Francais-et-les-representations-sur-le-viol.pdf
Sexual practices at last heterosexual encounter and occurrence of orgasm in a national survey: The Journal of Sex Research: Vol 43, No 3 (tandfonline.com) un plus grand éventail de pratiques sexuel est associé à plus de chances d’atteindre l’orgasme)
Aesthetic and Functional Genital and Perineal Surgery: Female: Aesthetic Surgery of the Female Genitalia (nih.gov) “
La chirurgie génitale féminine consiste le plus souvent en une labioplastie ou une procédure de resserrement vaginal.
Rouzier et al ont fait un rapport en 2000 sur 163 femmes qui ont subi une chirurgie de réduction des lèvres. La principale raison pour laquelle les patientes demandaient une chirurgie de réduction des lèvres était une insatisfaction esthétique dans 87 % des cas, une gêne vestimentaire dans 64 % des cas et une dyspareunie par invagination du tissu protubérant dans 43 % des cas”.
Le compte instagram de l’observatoire_lesbophobie, dont sont issues les témoignages lesbophobes.
Autres sites et liens :
https://antisexisme.net/
https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/qui-sont-les-violeurs
https://www.binge.audio/podcast/le-coeur-sur-la-table/le-chasseur-et-la-proie
https://egalitaria.fr/le-mythe-des-fausses-accusations-de-viol/?fbclid=IwAR0f7xD5IEs5izxb4vol-1sUrCCMqM4_Z_N2uqt7fwx8EWH3YYDG8pV9qYI
https://www.jean-jaures.org/publication/viols-et-violences-sexistes-un-probleme-majeur-de-sante-publique/ https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/drupal_fjj/redac/commun/productions/2018/0223/115271_-_rapport.pdf
https://www.jean-jaures.org/publication/viols-et-violences-sexistes-un-probleme-majeur-de-sante-publique/
Écriture et voix : Yohann Hoarau et Lyla (raie.futée)
Montage et captation vidéo : Léo Génin
Relecture : Sohan Tricoire, Takara
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