Cet article reprend le texte de la vidéo que vous pouvez trouver sur Youtube et Peertube.

Le lien vers la chaîne :
Peertube : https://tube.kher.nl/c/mangayoh_channel/videos?s=1
Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCImVxjIl3rIEoQIqeDIvKfA/videos

Salut, bienvenue sur la deuxième vidéo de la chaîne Mangayoh, où on va parler de différentes théories en psychologie sociale. J’y ferai souvent des références dans les prochaines vidéos donc c’était important d’en parler ici.

LA DISSONANCE COGNITIVE :

Je commence avec une théorie assez connue, la dissonance cognitive (Festinger, 1957), qui désigne un conflit interne que l’on peut avoir dans notre propre système de pensées, en ayant par exemple une contradiction entre différentes pensées, ou une pensée, une valeur ou un comportement, ce qui crée un inconfort psychologique.

Je vais donner un exemple de dissonance cognitive qui a été bien étudié par la psychologue sociale Melanie Joy, qui questionne notre rapport aux autres animaux, je vous invite à écouter la conférence Ted qui est très intéressante.

Selon différents sondages, il semble qu’une assez grande partie de la population soit assez favorable à la prise en considération du bien-être animal, et pourtant, dans nos comportements quotidiens, nombre d’entre nous consomment certains produits qui ont provoqué pas mal de souffrance animale.

Et c’est là que vient le conflit de la dissonance cognitive, entre une idée : où on ne veut pas faire de mal aux animaux et un comportement qui lui peut faire du mal aux animaux.

Et notre cerveau, il n’aime pas du tout cette dissonance, il fera tout pour la réduire et retrouver un état qu’on pourra qualifier d’équilibre cognitif.

Pour diminuer cette dissonance, il y a deux solutions :

– Soit on change notre comportement, dans cet exemple, refuser de cautionner financièrement ce qu’on ne cautionne pas idéologiquement.

– Ou alors on change notre pensée, on cherche de nouveaux raisonnements pour justifier nos actions, en disant par exemple que c’est pas si grave, qu’on a pas le choix, ou d’autres explications qui vont rationaliser nos comportements.

Intuitivement, on pourrait penser qu’on est rationnel, et que si nos comportements ne correspondent pas à nos pensées, à nos valeurs, alors on va prendre la première option, on va changer nos comportements.

Mais… comme le dit Kiesler, l’inventeur de la théories de l’engagement (1971) [ERRATUM : Cette citation n’est pas de Kiesler mais de Robert Heinlein (1953)]

« nous ne sommes pas rationnels, mais rationalisants ».

C’est-à-dire qu’au lieu d’agir rationnellement, et d’adapter nos comportements pour qu’ils soient en accord avec nos valeurs, on a tendance à faire l’inverse, à adapter nos pensées à nos comportements pour les expliquer et les justifier.

LE JOUET INTERDIT :

Il y a énormément d’expériences de psychologie qui montrent cette tendance qu’on a à rationaliser, et je vais ici vous en présenter une que j’aime beaucoup, l’expérience du jouet interdit (Aronson & Carlsmith, 1963).

Dans cette étude, chaque enfant est laissé dans une pièce avec différents jouets. Et on va lui demander de classer ces jouets par ordre de préférence. On va ensuite sélectionner le deuxième jouet préféré de l’enfant et lui dire de ne plus jouer avec. Et il y a deux situations :

Dans la première, la situation sévère, on va dire à l’enfant « Je ne veux pas que tu joues avec ce jouet, si tu joues avec, je serai très en colère et je devrais reprendre ce jouet ».

Dans la deuxième, la situation douce, on va lui dire « Je ne veux pas que tu joues avec ce jouet. Si tu joues avec, je serai ennuyé ».

Et dans les deux situations, les enfants ont arrêté d’utiliser le jouet en question,

la différence entre les deux situations arrive plus tard,

On demande à nouveau aux enfants d’évaluer leur jouet préféré.

Dans la condition sévère, les enfants ont eu tendance à placer le jouet en première position au lieu de le laisser en deuxième, alors que dans la condition douce, c’est l’inverse, les enfants ont plutôt dévalorisé le jouet.

Ce qui peut expliquer ces résultats, c’est que dans la première condition, les enfants ont une justification externe pour expliquer leur comportement. S’ ils avaient joué avec, le jouet leur aurait été enlevé.

Alors que dans la deuxième, il n’y a pas cette justification externe, alors pour conserver l’équilibre cognitif, l’enfant doit trouver une justification interne pour expliquer son comportement.

Quel raison j’avais de ne pas utiliser ce jouet ? Peut être qu’en fait, je ne l’aimais pas tant que ça ?

Comme bien d’autres, cette expérience nous montre comment on peut être amené·e à changer nos opinions à partir d’un changement de comportement.

LA THÉORIE DE L’ENGAGEMENT

Dans la théorie de l’engagement, que j’ai mentionnée tout à l’heure, Kiesler nous dit que c’est nos actes qui nous engagent,c’est-à-dire que plus on va effectuer un comportement, plus on va persévérer dans ce genre de comportements, et se persuader que c’est la bonne chose à faire.

Cette théorie explique par exemple la technique de manipulation qu’on appelle « le pied dans la porte (Freedman & Fraser, 1966) », où le fait de réaliser un certain comportement augmente les chances d’en faire un deuxième qui va dans le même sens.

Par exemple, dans différentes expériences de psychologie, on amène les gens à réaliser un geste altruiste mais anodin, comme donner l’heure, et on leur demande ensuite de la monnaie.

Ce qu’on observe, c’est que ceux à qui on a demandé l’heure l’instant d’avant vont donner davantage que ce qui n’ont pas fait ce premier comportement.

Il y a tout un courant de recherches en psychologie sociale qui s’intéresse à ces différentes techniques de manipulation qu’on appelle « la soumission librement consentie »

Et le fait de connaître ces techniques ne doit pas nous inciter à les utiliser, comme le stipule le titre du livre : « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens ». Le but ne doit pas être d’utiliser ces techniques, mais plutôt de les connaître pour pouvoir éviter de se faire manipuler par ceux qui les utilisent, notamment pour nous vendre des choses.

Revenons sur la théorie de l’engagement, le modèle de Kiesler propose cinq facteurs permettant d’expliquer et de moduler l’engagement des individus. On va prendre l’exemple d’un éco-geste assez connu, vous décidez de ne plus prendre l’avion. Quels sont les facteurs qui vont vous faire persévérer dans votre comportement ?

  • 1 – Le contexte de liberté : plus vous ferez votre comportement avec un sentiment de liberté, plus vous serez engagé·e.

Donc vous serez plus à même de recommencer si vous avez fait votre acte sans contrainte extérieure. Comme avec l’expérience du jouet, le fait de se sentir libre au moment de notre comportement fait que nous ne pouvons pas l’expliquer par une contrainte extérieure, si on a agit de nous-mêmes, on se dit qu’on avait envie d’agir ainsi, ou que c’était la bonne chose à faire.

Induire un contexte de liberté, c’est aussi utilisé comme technique de manipulation. Comme le montrent certaines expériences (Pascual & Guéguen, 2002) où on demande une certaine requête – comme demander de l’argent. Le fait d’induire un contexte de liberté en disant que la personne est « libre d’accepter ou non » fait que la personne aura plus de chances d’accepter.

Ça s’explique par la théorie de la réactance (Brem, 1966), qui nous dit que lorsqu’on sent une restriction de nos libertés, qu’on sent qu’elles sont menacées, ça éveille en nous un état qu’on appelle la réactance psychologique, où on a envie de retrouver notre liberté. En général, on n’aime pas trop qu’on nous impose des choses, on aime avoir la sensation de liberté.

C’est pourquoi le fait de suggérer à la personne qu’elle est libre de choisir permet de faire baisser cet état de réactance.

  • 2 – Le coût de l’acte : plus votre comportement aura été coûteux, plus il sera engageant

Par exemple, si vous avez du faire des sacrifices, dépensé de l’argent, ou, dans notre contexte de l’avion, refusé de partir en vacances dans un certain lieu avec vos ami·es, c’est un facteur engageant.

Ça rejoint la notion des coûts irrécupérables, où pour faire un choix, on prend en compte des coûts qui ont déjà été payés et qui ne devraient plus être pris en compte, car on ne veut pas gâcher les investissements ou les efforts qu’on a déjà fait.

  • 3 – La visibilité de l’acte : plus le comportement sera visible par les autres, plus vous serez engagé·e

Si vous dites que vous cessez de prendre l’avion pour toujours, et ce devant tous vos amis et toute votre famille, ce sera plus engageant que si vous prenez cette décision seul·e, sans en parler à personne.

  • 4 – La réitération de l’acte : plus vous répétez votre comportement, encore et encore, plus vous serez engagé·e.

C’est le facteur qui résume très simplement l’engagement, plus on fait un comportement, plus on aura tendance à refaire ce comportement.

  • 5 – L’irrévocabilité de l’acte : Si votre comportement est irrévocable et que vous n’avez pas la possibilité de revenir en arrière, vous serez encore plus engagé·e.

Ce qui nous ramène une nouvelle fois à la notion de coûts irrécupérables, qui est super bien expliquée dans cette vidéo de science étonnante.

Et il y a un 6ème facteur engageant, qui n’était pas noté par Kiesler,

c’est 

  • 6 – La labellisation aussi appelée l’étiquetage. J’utiliserai souvent les termes labelliser et étiqueter comme des synonymes. Il y a plusieurs études qui ont montré que le fait de labelliser une personne en la qualifiant de « généreuse » ou « altruiste » augmente la probabilité qu’elle aide quelqu’un ensuite, et bien sûr ça peut marcher aussi avec d’autres qualificatifs.

Je cite Becker, le sociologue qui a inventé cette théorie : « Le déviant est celui à qui l’étiquette de déviant a été appliquée avec succès. »

Dans le sens où les étiquettes qu’on nous applique peuvent conditionner nos attitudes.

Pour montrer cet effet, une étude de psychologie sociale (Miller, Brickman et Bolen, 1975) s’est chargée d’amener des enfants à jeter des papiers de bonbons dans la poubelle, et non par terre.

Il y avait 3 groupes, le premier, c’est une condition injonctive, où on leur dit ce qu’il faut faire : « Il faut être propre et ordonné »

Dans le deuxième groupe, le groupe étiquetage, on leur dit qu’« ils sont des enfants propres et ordonnées »

Et bien sûr, le groupe contrôle, où on ne fait rien de particulier.

Et les résultats montrent qu’étiqueter les enfants est plus efficace que leur donner un ordre, et en plus, cet effet dure plus dans le temps.

Sous forme de technique de manipulation, la labellisation est souvent associée au pied dans la porte, où on labellise la personne après son premier acte, l’acte préparatoire, en disant par exemple : « merci beaucoup, vous êtes vraiment une personne bien. »

Et pour en revenir à l’exemple de l’avion, si on vous labellise en vous disant que vous êtes une personne bien, que vous êtes responsable, que vous êtes écolo, vous aurez encore plus de chances de persévérer dans votre comportement.

Ça rejoint la théorie de l’auto-perception (Bem, 1972), qui suggère que lorsqu’on intériorise notre comportement après l’avoir effectué, alors on aura plus de chances de le recommencer puisqu’on se perçoit comme « une personne qui fait ce genre de comportements ».

Bon là j’ai pris un exemple plutôt positif, donc si vous persévérez dans cet engagement, ça ne semble pas si gênant, mais si on prend un comportement qui a des conséquences négatives, ça peut donner quelque chose de vraiment problématique, où on va persister dans ce comportement en se persuadant que c’est la bonne chose à faire.

Et comme on l’a vu avec les facteurs engageants, si on persévère dans notre comportement devant beaucoup de monde, qu’on s’identifie à ce comportement, etc. dans ces conditions, la théorie de l’engagement nous dit que ça va être très difficile pour nous de se remettre en question !

Plus on sera engagé·e, plus on aura une réticence à changer d’avis et à admettre qu’on s’est trompé. Ça rejoint un biais psychologique qu’il faut bien surveiller, le biais de confirmation. On aime se donner raison, on accepte plus facilement des informations qui confortent notre position et nos idées. Et quand on est militant·e, quelle que soit la cause que l’on défend, il faut faire bien attention à ce biais, car si on persévère à défendre une idée qui s’avère en fait pas si bonne que ça, alors on aura beau avoir de bonnes intentions, on ne fera pas une bonne action. Et même lorsque l’on défend une bonne cause, il faut rester vigilant·e à ne pas propager de fausses informations. C’est justement lorsqu’on est engagé·e, qu’on tient à cette position qu’on défend, qu’on est particulièrement à risque de ce biais de confirmation.

Donc quand on est militant·e, il faut être d’autant plus vigilant·e lorsqu’on fait des recherches. L’effet chimpanzé a d’ailleurs fait une très bonne vidéo sur ce sujet de faire des recherches lorsqu’on est militant·e.

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Sources :

Ted Talks de Mélanie Joy :
https://www.youtube.com/watch?v=o0VrZPBskpg&t=4s

Le pied dans la porte | Vidéo de Horizon Gull :
https://www.youtube.com/watch?v=P3jQOqAeKcg

Les coûts irrécupérables | Science Étonnante :
https://www.youtube.com/watch?v=GCmfXMMhRzk

Faire des recherches lorsqu’on est militant | L’effet chimpanzé :
https://www.youtube.com/watch?v=62eJxPFMBUc

Conférence de François Jaquet sur PEA : Spécisme et dissonance cognitive :
https://www.youtube.com/watch?v=0tfcuIKdM0g&list=PLCtIFSqvMVSs9fVJ2j3MwH_pPwa0zXMxC&index=7

Aronson, E. & Carlsmith, J.M. (1963). Effect of the severity of threat on the devaluation of forbidden behavior. Journal of Abnormal and Social Psychology, 66(6), 584–588.

Brehm, J. W. (1966). A theory of psychological reactance. Oxford, England: Academic Press.

Burger, J. M. & Caldwell, D. F. (2003). The Effects of Monetary Incentives and Labeling on the Foot-in-the-Door Effect: Evidence for a Self-Perception Process. Basic And Applied Social Psychology, 25(3), 235-241. doi:10.1207/S15324834BASP2503_06

Festinger, L. (1957) A Theory of Cognitive Dissonance. California: Stanford University Press.

Freedman, J. & Fraser, S. (1966). Compliance without pressure : The Foot-in-the-door technique. Journal of Personality and Social Psychology, 4, 195-202.

Joule, R. B. & Beauvois J. L. (1987). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Presses universitaires de Grenoble.

Joy, M. (2016). Pourquoi aimer les chiens, manger les cochons et se vêtir de vaches, Éditions L’Âge d’Homme, collection V.

Kiesler, C. A. (1971). The psychology of commitment. Experiments linking behavior to belief. New York: Academic Press.

Miller, R. L., Brickman, P. & Bolen, D. (1975). Attribution Versus Persuasion as a Means for Modifying Behavior. Journal of Personality & Social Psychology, 31(3), 430-441.

Pascual, A. & Guéguen, N. (2002). La technique du « vous êtes libre de… » : Induction d’un sentiment de liberté et soumission à une requête ou le paradoxe d’une liberté manipulatrice. Revue Internationale de Psychologie Sociale, 15(1), 51-80.

Écriture : Yohann Hoarau
Montage : Nicolas B